La Turquie à Chypre contre Israël à Gaza : une comparaisonpar Daniel Pipes
Washington Times
20 juillet 2010http://fr.danielpipes.org/8653/turquie-chypre-israel-gazaVersion originale anglaise:
Turkey in Cyprus vs. Israel in GazaAdaptation française: Johan BourlardÀ la lumière des récentes critiques formulées par Ankara, qualifiant Gaza de «
prison à ciel ouvert » israélienne, cette semaine, qui marque l'anniversaire de l'invasion de Chypre par la Turquie, a une signification particulière.
Emine Erdoğan, épouse du Premier ministre turc. |
Historiquement chaleureuses et
sur le point d'atteindre une entente parfaite il y a à peine dix ans, les relations entretenues par la Turquie avec Israël se sont refroidies depuis l'accession au pouvoir des islamistes à Ankara, en 2002. Leur hostilité est devenue explicite en janvier 2009, lors de la guerre entre Israël et le Hamas. Le Premier ministre
Recep Tayyip Erdoğan a condamné en termes grandiloquents la politique d'Israël, « auteur d'actes inhumains qui le conduiront à l'autodestruction », et a même invoqué Dieu (« Allah… punira ceux qui transgressent les droits des innocents »). Son épouse,
Emine Erdoğan, a condamné avec emphase les actions israéliennes, les qualifiant de si terribles qu'on « ne peut les exprimer par des mots ».
Leurs attaques verbales laissaient présager une hostilité plus grave incluant des
insultes adressées au président israélien, une aide au
parrainage de la « Flottille de la liberté » et un rappel de
l'ambassadeur turc.
La fureur de la Turquie suscite une question : Est-ce qu'Israël à Gaza est vraiment pire que la Turquie à Chypre ? Une comparaison montre que c'est loin d'être le cas. Examinons quelques contrastes :
- L'invasion turque de juillet-août 1974 s'est accompagnée de l'utilisation de napalm et d'une « propagation de la terreur » parmi les villageois chypriotes grecs, selon le Minority Rights Group International. Par opposition, la « bataille acharnée » menée par Israël pour prendre Gaza s'est faite au moyen d'armes conventionnelles et n'a fait pratiquement aucune victime civile.
- L'occupation de 37 pour cent de l'île qui a suivi s'est révélée être un « nettoyage ethnique forcé », selon William Mallinson dans une monographie qui vient de paraître à l'Université du Minnesota. Par opposition, si l'on veut accuser les autorités israéliennes de nettoyage ethnique à Gaza, celui-ci concerne leur propre population, les Juifs, en 2005.
- Le gouvernement turc a patronné ce que Mallinson appelle « une politique systématique de colonisation » des terres autrefois grecques du Nord de Chypre. En 1973, les Chypriotes turcs étaient au nombre de 120 000 ; depuis lors, plus de 160 000 ressortissants de la République turque se sont établis dans le nord de l'île. En comparaison, pas une seule communauté israélienne ne subsiste à Gaza.
- Ankara administre la zone qu'elle occupe de façon si stricte que, selon les termes de Bülent Akarcalı, haut responsable politique turc, « le Nord de Chypre est gouverné comme une province turque ». En comparaison, c'est un ennemi d'Israël, le Hamas, qui gouverne Gaza.
- Les Turcs ont mis sur pied une structure soi-disant autonome appelée « République turque du Nord de Chypre ». Les Gazaouis, de leur côté, jouissent d'une réelle autonomie. Un mur qui traverse l'île maintient des Grecs paisibles hors du Nord de Chypre. Le mur d'Israël exclut les terroristes palestiniens.
Chypre : une île divisée depuis 1974. |
Enfin, il y a
la ville fantôme de Famagouste, où les actions militaires de la Turquie sont comparables à celles de la Syrie sous le
régime brutal d'Assad. Après le bombardement de la cité portuaire chypriote par la force aérienne turque, l'armée turque s'en est emparée, forçant l'intégralité de la population grecque, qui craignait un massacre, à prendre la fuite. Les troupes turques ont immédiatement barricadé le centre-ville, appelé Varosha, et interdit à quiconque de s'y établir.
Panneau placé sur les barrières qui encerclent Varosha, à Chypre. |
Cette
ville grecque en ruines, où la nature reprend peu à peu ses droits, est devenue un curieux témoin du passé, une « capsule » datant de 1974.
Steven Plaut, de l'Université de Haïfa, l'a visitée et témoigne : « Rien n'a changé… On dirait que les concessionnaires de voitures de la ville fantôme sont aujourd'hui encore approvisionnés en modèles de l'année 1974. Des années après le viol de Famagouste, des gens racontaient qu'ils voyaient encore des lampes allumées à travers les fenêtres des bâtiments abandonnés. »
Curieusement une autre ville fantôme du Levant est également née durant l'été 1974. Seulement 24 jours avant l'invasion turque de Chypre, les troupes israéliennes évacuaient la ville frontalière de
Qunaitra pour la remettre aux autorités syriennes. Hafez al-Assad a également choisi pour des raisons politiques de ne laisser personne s'y établir. Des décennies plus tard, la ville demeure elle aussi inoccupée, otage d'humeurs belliqueuses.
Erdoğan prétend que les troupes turques n'occupent pas le Nord de Chypre mais sont là « en vertu du statut de la Turquie de puissance garante », quoi que puisse signifier cela. Le monde extérieur, cependant, n'est pas dupe. Si, récemment,
Elvis Costello a renoncé à participer à un concert à Tel-Aviv pour protester contre « la souffrance des [Palestiniens] innocents »,
Jennifer Lopez a annulé un concert dans le Nord de Chypre pour dénoncer « les violations aux droits de l'homme » qui s'y passent.
En résumé, le Nord de Chypre partage des similitudes avec la Syrie et ressemble à « une prison à ciel ouvert » davantage que Gaza. Et puis quel toupet de la part d'Ankara de se draper hypocritement dans sa vertu au sujet de Gaza alors qu'elle dirige une zone [occupée] de façon bien plus offensive. Au lieu de se mêler de Gaza, les dirigeants turcs devraient mettre fin à cette occupation illégale qui, depuis des dizaines d'années, divise et déstabilise l'île de Chypre.