L'explosion du nombre de pèlerins qui se rendent chaque année à la Mecque oblige la première ville sainte de l'Islam à une révolution urbaine et architecturale qui suscite plusieurs critiques. Le pèlerinage à La Mecque (hajj en arabe) ne connaît pas la crise et les autorités saoudiennes l'ont bien compris. Le hajj est un composant précieux de l'économie du royaume wahhabite ; il a rapporté 5 milliards d'euros en 2009 et pourrait un jour remplacer les bénéfices de la manne pétrolière. Chaque année, les pèlerins sont de plus en plus nombreux à vouloir effectuer ce cinquième pilier de l'Islam. Cette année, le flux de pèlerins a déjà augmenté de 20%. Selon une étude publiée par la Saudi British Bank, La Mecque devrait même accueillir 20 millions de visiteurs en 2020, contre 5 millions actuellement.
Pour faire face à ce défi, l'Arabie Saoudite a entrepris des travaux gigantesques. Quelque 20 milliards d'euros vont être investis dans des projets de réhabilitation de la ville sainte de l'Islam. Pas moins de 130 tours doivent être érigées dans les quatre prochaines années. De plus en plus d'immeubles vont donc entourer la Kaaba, la pierre noire vers laquelle se tournent chaque jour les musulmans du monde entier durant leurs prières.
100.000 euros le mètre carréCette frénésie immobilière continue de faire grimper le prix déjà très élevé du mètre carré : avec 100.000 euros par mètre carré, La Mecque est l'une des villes les plus chères du monde. Pour rentabiliser les investissements - et par volonté politique - les tours qui prolifèrent tout autour de la Grande Mosquée (Haram al Masjid) sont majoritairement des résidences de luxe et des hôtels cinq étoiles. Exemple, en juillet dernier, les autorités saoudiennes ont inauguré, la Makkah Clock Royal Tower, un hôtel qui culmine à 601 mètres de haut, soit la deuxième plus haute tour au monde arabe après la Burj Khalifa de Dubaï.
Conséquence : cette architecture gigantesque, implanté en face de l'accès de la Grande Mosquée, domine complètement tout le paysage de la petite ville de recueillement. Et seuls les croyants qui peuvent débourser 16.650 dollars la nuit dans une suite peuvent espérer profiter d'une suite d'une vue imprenable sur la Kaaba, le lieu saint entre tous.
«Manhattanisation» de la Ville SainteProgressivement, ce haut lieu de l'Islam s'estompe donc derrière une forêt de bâtiments de luxe, permettant aux fidèles les plus fortunés d'être mieux lotis que d'autres pour accomplir le hajj (devoir de tout musulman valide qui peut se le permettre). Or dans l'enceinte de la Grande Mosquée, le principe veut que tous les pèlerins soient égaux devant Dieu.
Un certain nombre d'intellectuels saoudiens sont gênés par les projets du gouvernement qui, selon des diplomates en poste à Ryad, n'ont été approuvés que par des dignitaires religieux. Ces derniers s'accordent sur le besoin de repenser les lieux pour assurer un meilleur accueil des pèlerins et souhaitent par la même occasion attirer toujours plus de musulmans en quête de salut selon les principes de l'islam - ce que l'Arabie saoudite considère comme son devoir.
Mais des personnalités tels que le journaliste Mahmoud Sabbagh ou Irfan al-Alawi, le fondateur de l'Islamic Heritage Research Foundation, déplorent la destruction du patrimoine culturel et la « manhattanisation » (du nom du célèbre quartier de New York) de la ville en décalage total avec l'esprit de spiritualité du lieu. « On ne peut s'empêcher d'être attristé par la vue d'une Kaaba si petite au milieu de ces géants de verre et d'acier », a regretté la romancière saoudienne Raja Alem.