L'ADIEU À ATTATÜRK

Le ton est à la conciliation. « Aujourd’hui 74 millions de personnes ont gagné, ouvriers, paysans, retraités. L’Occident lui aussi est vainqueur, tout comme Gaza, Tripoli, le Moyen-Orient, les Balkans et l’Europe. La paix, la justice et la stabilité l’ont emporté », a décrété Recep Tayyip Erdogan. Il s’est bien gardé d’ajouter que lui, l’homme du jour, est le grand bénéficiaire de la journée électorale de dimanche. Louable sagesse venant d’un homme connu pour son tempérament sanguin, dont le parti, certes, vient de l’emporter haut la main – un troisième triomphe en trois consultations populaires, il n’est pas donné à tout le monde d’afficher un tel palmarès – mais sans réussir l’impossible : enlever une majorité de deux tiers qui lui aurait permis d’amender la Constitution de 1980, de « poutiniser » le pouvoir et de se faire sacrer digne successeur des sultans de la Sublime Porte.
L’objectif, c’était cela pourtant, comme le proclamaient les affiches le long des routes et sur les façades des immeubles. « Prêt pour 2023 », pouvait-on lire sur les panneaux, dans une allusion au centenaire de la proclamation de la république. D’ailleurs, l’ambitieux programme du leader de l’AKP ne disait pas autre chose, qui promettait de porter à cette date la valeur des exportations à 500 milliards de dollars, d’obtenir 1,5 pour cent du commerce mondial, de recevoir 50 millions de visiteurs étrangers (28,6 millions en 2010) et d’engranger des recettes en provenance du tourisme de l’ordre de 50 milliards de dollars contre 22 milliards l’an dernier. Le Premier ministre n’hésitait pas à en rajouter, et à la louche : 5 000 kilomètres d’autoroutes portant le réseau actuel à 7 500 kilomètres ainsi que 10 000 kilomètres de voies ferroviaires à grande vitesse, un transporteur aérien turc pour bientôt, de nouveaux aéroports afin d’absorber 400 millions de voyageurs. Ceci encore : en 2015, un produit intérieur brut de 1,07 trillion de dollars, 1,43 quatre ans plus tard et 2,06 trillions en 2023, un revenu annuel per capita allant crescendo : 14 000 dollars, puis 18,685 millions pour atteindre 25 076 millions. Le chômage ? Il sera ramené à 5 pour cent et les emplois verront une augmentation de 50 pour cent dans les douze années à venir. Pas mal pour un pays qui se traînait dans le peloton de queue des nations tardant à émerger. Légère ombre au tableau : les promesses chiffrées, on peut en aligner une quantité propre à impressionner l’électeur ; elles n’engagent, comme disait l’autre, que ceux qui les font. La vérité, aux dires d’éminents spécialistes, c’est que l’économie turque devrait connaître bientôt une période de surchauffe propre à décourager les plus optimistes. Passer d’une croissance de 8,9 à 5 pour cent représente malgré tout une performance qui mérite d’être saluée.
Entre 2007 et 2011, on a vu le Parti de la justice et du développement (AKP) grignoter plus de trois points dans les suffrages ; mais ses adversaires de la vieille formation kémaliste, le Parti républicain du peuple (CHP) ont fait proportionnellement tout aussi bien, réalisant leur meilleur score en trente ans puisqu’ils s’approprient 25,9 pour cent des voix et 135 sièges à la Turkiye Büyük Millet Meclisi. Le Parti prokurde de la paix et de la démocratie (BDP) se voit attribuer non moins de 35 sièges, contre vingt dans la précédente Assemblée. Quant aux nationalistes du MHP, leur 13 pour cent leur donnent droit à 53 places au sein du Parlement, malgré une cascade de scandales sexuels – largement relayés par certains médias – qui ont coûté leur place à dix de leurs membres. Le chef du gouvernement a très vite tiré la leçon de la journée : « Nous allons devoir négocier, accepter des compromis, a-t-il dit, si nous voulons modifier la Loi fondamentale. » En fait, il lui faudra réaliser un difficile consensus s’il veut doter le pays d’un régime présidentiel et surtout donner satisfaction à une population soudée par le ciment islamique tout en réussissant à instaurer un nouvel ordre prenant en considération les réalités représentées par les Kurdes, les Alévis et les autres minorités.
Sur ces points précis, l’AKP souffre d’un fort déficit, même si certains jugent qu’entre 2002 et aujourd’hui, le parti a subi des transformations majeures. Le modèle lui-même est contesté, exemple de gestion islamique soft parfaitement réussie pour les uns et pour d’autres régression se traduisant par un autoritarisme qui présage l’adoption à brève échéance d’un « néo-ottomanisme » dont on voit déjà se dessiner les contours. C’est trop vite oublier que le système en place est tricéphale, les deux autres têtes en étant le chef de l’État Abdullah Gül et le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoğlu.
Reste la grande question : si, dit-on,Mustafa Kemal avait lu Descartes et Montesquieu, quels sont les ouvrages de chevet d’Erdogan ?

Par Christian Merville

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Citation :

quels sont les ouvrages de chevet d’Erdogan ?

Quelques rapides recherches ont permis de mettre au jour ceci :
Un grand placard au-dessus de son miroir de salle de bain :

Et des BD dans sa table de nuit :







Et au mur face à son bureau de travail :


C'est amplement suffisant pour faire un dirigeant politique ambitieux.