Une autre vision de l'Histoire (de cul) ...
Extrait de " Alain DUCUL raconte ... "
Les clubs mythiques des années 70 !
"Le pari de Larry : douze éjaculations en quinze heures. Venez parier au bar." Al Goldstein, éditeur du magazine porno Screw, a misé 10 000 dollars. On est même allé chercher un médecin chargé de vérifier, par un prélèvement sur un bâtonnet, qu’il y a bien sperme. Larry Levenson, le "King of Swing", le roi de l’échangisme, est un athlète du sexe. Il joue à domicile dans son club new-yorkais, Plato’s Retreat. "J’ai dû coucher avec plus de mille femmes l’an dernier", dit-il à un pote. Le soir du pari, lorsque Larry attrape la douzième, Al Goldstein le noie de paroles. N’importe quoi pour le distraire et garder ses 10 000 dollars. En vain.
Jon Hart et Mathew Kaufman ont reconstitué ce pari légendaire dans American Swing, un documentaire sur ce club échangiste mythique de la fin des années 1970. Avant de devenir l’étalon de Plato’s Retreat (La Retraite de Platon), Larry, divorcé et proche de la quarantaine, découvre les soirées échangistes dans le New Jersey, en banlieue de New York.
Les problèmes ne sont pas ceux qu’on imagine : "C’était dur de trouver des places de parking. Le temps qu’on commence à se mélanger, il était déjà deux heures du matin", a-t-il confié à Jon Hart. Il se dit que ces parties seraient plus faciles à trouver si on les organisait chaque soir au même endroit. Frank Pernice, "un genre de traiteur", devient son partenaire. Ils ouvrent Plato’s Retreat au mois de septembre 1976 dans le quartier de l’Upper West Side, à New York. Le club s’installe dans les locaux des Continental Baths, un ancien sauna gay en sous-sol du magnifique Ansonia Building (et là, il y aura un valet parking !).
Un escalier couvert de miroirs, une piste de danse entourée de matelas et des bains… "C’était comme si vos yeux avaient des orgasmes", résume un employé du vestiaire.
"Des hommes flottaient dans le Jacuzzi ; on ne voyait que ces sexes dressés comme des périscopes", se remémore une visiteuse.
Donna Ferrato, une jeune photographe qui venait d’arriver à New York, se souvient de sa première plongée dans l’eau. "Quand je remonte à la surface, il y a tous ces hommes en rond autour de la piscine, éjaculant… Les jets formaient comme une arche au-dessus de ma tête… Mon plus grand regret, c’est de ne pas en avoir gardé une photo." Côté bains, on copule dans les douches, la piscine, le Jacuzzi, sur les chaises longues… Des gémissements sortent de cabines exiguës.
Dans la Mattress Room, c’est humide, ça transpire…et il faut se méfier des morpions !
On se presse pour entrer dans la Mattress Room, grande pièce aveugle couverte de matelas. Au mur, un mot en lettres immenses : "Screw !" ("Baise !"). Des dizaines de corps s’emboîtent. Lorsque la musique s’accélère, les mouvements suivent. Des respirations, des odeurs – et des morpions, se souvient Donna Ferrato. "En entrant, on marchait sur des corps. Quelque chose d’humide, de spongieux…", raconte un ancien. "Il y avait des gens qui auraient mieux fait de garder leurs vêtements", regrette aussi un des fils de Levenson (faut-il inviter son fils dans sa boîte échangiste ? C’est un autre sujet).
Alors qu’on se figure le club enflammé par la révolution sexuelle des années 70, Plato’s Retreat est attentivement régulé. Réservé aux hétéros et aux couples only. "Quand la femme quitte le matelas, son partenaire devra être parti dans les deux minutes", dit une des cinq règles affichées devant la Mattress Room. Un videur se tient à l’entrée.
"Réservé aux couples", "Pas de trio", "Personne ne peut entrer entièrement habillé", et surtout "Merci de ne pas bloquer l’entrée".
Des témoignages récoltés par American Swing, des articles de l’époque, on retient ce mélange de discipline bien cadrée et de démence. Une photo montre un type qui danse enroulé nu dans sa serviette, avec son écharpe et sa casquette. De sa première visite, Howard Smith, chroniqueur star du Village Voice, retient deux mecs qui se baladent nus avec des chaussettes noires jusqu’aux genoux. Il rappelle aussi l’étiquette : "Si quelqu’un vous fait une proposition qui ne vous intéresse pas, un simple non de la tête suffit. Les gens qu’un ‘non’ n’arrête pas sont virés."
Lorsqu’en 1978 un journaliste de Time Magazine vient effectuer un reportage dans ce club dont parle tout le pays, Larry Levenson lui fait faire le tour du propriétaire. Il pousse la porte de la cabine réservée au staff. Un couple est là, dévêtu. "Mary, ma compagne", dit-il en désignant la femme. Mère de trois enfants, Mary est, elle aussi, divorcée. Elle est tombée amoureuse de Larry à l’une de ses premières soirées. "Il m’a fait signe de le rejoindre dans la piscine. Je lui ai dit : ‘je ne peux pas tout de suite, je vais aux toilettes.’ Il m’a répondu : ‘ce sera plus agréable ici, l’eau est déjà chaude.’"
Dans un club qui n’accueille officiellement que les couples, elle devient sa moitié. C’est elle qui dessine le logo. On y voit ce qu’on veut : un couple, un coeur ou 2+2. Jolie brune au brushing exemplaire, elle est sa caution bien élevée dans les pubs merdiques diffusées tard sur le câble. "Il y a l’air conditionné, une piscine, de la musique disco…", récite-t-elle. Il la tient par l’épaule, lui caresse le bras. Comme une promesse de romance à celles qui viendront partager leur conjoint. "It’s for youyououou…", chante la pub. Le club se dote d’une boutique souvenir : trois dollars le briquet, trois dollars le lubrifiant, dix dollars le tablier, quarante-cinq le blouson. On y trouve aussi un bar : "Sans ça, ça prend une heure de plus pour que les gens se déshabillent", observe Larry Levenson lors de la visite de Time. "Larry avait une épicerie, il en a fait un supermarché", résume Adam, l’un de ses employés.
Howard Smith, le journaliste du Village Voice, se rappelle d’une fille magnifique et passive que travaillaient quatre gros vilains. "Je m’approche : ‘Excusez-moi, je fais un article et je voudrais savoir ce qui vous passe par la tête’. Elle me rejoint après, je lui demande ce que ça lui fait de se faire baiser par ces quatre mecs moches. Elle me répond : ‘Ils étaient moches ?’"
"Des étudiants tombaient sur leurs professeurs, des hommes se retrouvaient nez à nez avec leurs ex-femmes… ou leurs futures", résume l’acteur scénariste Buck Henry.
Le réalisateur Melvin Van Peebles y emmène ses petites amies, "parce qu’avec un peu d’encouragement, chacun a un côté wild". Sammy Davis Jr. est un des rois du dance-floor. Quand Dan Pastorini, alors star du football américain, met les pieds dans le club, les hommes courent chercher leurs femmes et les poussent dans ses bras : "Tape-toi Dan Pastorini !"
"Pourquoi n’êtes-vous pas en prison ?", interroge un animateur télé. Larry Levenson est jugé responsable de la désintégration de la famille américaine. Il répond que, justement, les couples qui viennent à Plato’s Retreat s’y rendent ensemble. Il évoque le moment, à la fermeture du club, où il les voit repartir vers leur voiture, main dans la main, échangeant des baisers au petit matin. Venir ensemble dans un club échangiste, c’est justement ne pas avoir de relations hors du couple.
Un jour, un homme surprend sa femme raccommodant le pantalon d’un autre convive. Une énorme dispute explose dans le club : presque aussi grave que d’échanger des numéros de téléphone.
"A Plato’s Retreat, avec les vapeurs de chlore, le virus du sida n’a aucune chance"
1979. Larry se promène parfois avec sa cape et sa couronne "King of Swing". Un cliché le montre sur la piste de danse, une femme frottant ses seins nus contre son dos. A genoux, une autre avale son sexe. L’écrivain scénariste Buck Henry, qui ne l’a rencontré qu’une fois, se souvient avoir évité de lui serrer la main "à cause de ce qu’il faisait avec juste avant". Il est le roi des lieux mais Mary n’a plus rien d’une reine. Larry passe régulièrement la nuit sur place sous les filles. Un chauffeur raccompagne Mary. Est-ce ainsi qu’il devient son amant ? Un matin, à 4 heures, Larry ferme son club. En route vers chez lui, il se fait enlever, piquer son fric et passer à tabac. Mâchoire pétée, poignet en morceaux. Les proches soupçonnent le chauffeur. Mary est hospitalisée pour dépression.
L’année suivante, Plato’s Retreat déménage sur la 34e Rue. Ce nouvel endroit est-il trop grand ? Est-ce à cause de la fin des années 1970 ? Du départ de Mary ? L’ambiance a tourné. Le 4 février 1981, Larry Levenson est accusé de fraude fiscale. Il se défend en assurant que sa croisade pour l’amour libre était à but non lucratif et prend huit ans de prison. Le club reste ouvert mais "Plato’s sans Larry, regrette Al Goldstein, c’est comme le Vatican sans le pape à Pâques".
La boîte peine à se remplir. On y organise un bal SM, du catch féminin, on ouvre le club aux célibataires deux soirs par semaine. Des prostituées sont là en renfort. Libéré, Levenson fait son retour à l’automne 1984 dans une cape de pseudohermine, trop tard pour la fête.
"A Plato’s Retreat, avec les vapeurs de chlore, le virus du sida n’a aucune chance", assure-t-il sur une chaîne locale en 1985.
Pour respecter les nouvelles lois sanitaires, il tapisse son club d’affiches "pas de sodomie ni de fellation". Un soir, un travesti propose à un type de lui mettre des menottes et de lui faire une pipe pour dix dollars. Mauvais choix : l’homme est un flic undercover. Le club est fermé définitivement le 31 décembre 1985. Pour Larry Levenson, les années qui suivent s’écrivent en pointillés. L’un raconte l’avoir retrouvé fumant du crack chez lui à Brooklyn. Une ancienne cliente du club tombe sur lui, devenu chauffeur de taxi.
"On était une famille…, dit-il à la fin de sa vie, en évoquant l’apogée de son club. En fait, j’étais peut-être le seul à le penser."
Le club a été remplacé par un parking et l’histoire s’est réécrite. "Larry était chiant. C’était une vie d’appareils génitaux", lâche Al Goldstein, l’éditeur du magazine porno Screw. Le même Goldstein qui allait à toutes ses soirées et pariait 10 000 dollars.