Sodomites et zoophiles, ces bougres d'hérétiques Du Moyen Age à la Révolution, ces deux formes de sexualité ont eu une histoire pénale commune. Et restent amalgamées par certains anti-mariage pour tous.
«Qui pourra délégitimer la zoophilie, la polyandrie, au nom du sacro-saint amour ?» se demande l’UOIF, l’Union des organisations islamiques de France, dans un communiqué. «Et ça peut donner des choses très bizarres, comme le mariage avec un animal», s’inquiète un manifestant lors de la marche «Non à l’homofolie», organisée contre le mariage pour tous. Polygamie, polyandrie, pédophilie, inceste, les institutions religieuses n’hésitent pas à agiter de multiples chiffons rouges pour s’opposer au projet de loi du gouvernement.
L’un des arguments récurrent de certains opposants au mariage pour tous, c’est que le projet de loi serait la porte ouverte à l’autorisation de la zoophilie. A première vue, ce propos n’a aucun sens. Pourtant, quand on se penche de plus près sur l’homosexualité et la zoophile, on se rend compte que les deux pratiques ont un lien : elles partagent une histoire répressive commune.
En France, les «sévices de nature sexuelle» sur les animaux sont interdits depuis 2004. Les condamnations sont rares, puisqu’il faut prouver que l’animal a été maltraité et l’affaire est légèrement compliquée à traiter en l’absence de de flagrant délit. En Allemagne, une loi pour pénaliser cette pratique devrait être votée prochainement.
Code pénal de 1791
Pourtant, la zoophilie n’a pas toujours été pénalement réprimée. Dans l’Hexagone, le crime de bestialité avait disparu avec le premier code pénal de 1791. En même temps que celui de... sodomie. Dans un souci révolutionnaire d’accorder de nouvelles libertés, on juge que ces actes ne nuisent pas à la société. En revanche, si l’on remonte un peu plus loin dans le temps, à travers les ordonnances royales ou les jugements locaux, les deux pratiques ont souvent été associées, voire confondues.
Le Lévitique, dans l’Ancien Testament, prévient : «Vous ne devez pas avoir de relation avec une bête, cela vous rendrait impurs ; de même, aucune femme ne doit s’accoupler à un animal ; c’est de la perversion.» Or, «la loi hébraïque fut à l’origine des pénalités romaines et germaniques qui châtièrent les actes de bestialité et qui restèrent en vigueur jusqu'à la fin du XVIIIe siècle», raconte le Dr Ludovico Hernandez dans les Procès de bestialité aux XVIe et XVIIe siècles. Un ouvrage oublié en 1920, sous pseudonyme, par les écrivains Louis Perceau et Fernand Fleuret, qui se sont plongés dans les archives judiciaires de la zoophilie. On se rend compte alors qu’elle marche souvent de pair avec l’homosexualité.
Le 19 août 1623, Toussaint Boudier est «accusé d’avoir connu charnellement et contre-nature plusieurs personnes, et encore de copulation et habitation détestable avec une asnesse». On lui reproche notamment d’avoir commis un «acte de sodomie» sur Léopold Jean Bougeran. C’est la famille de la victime, dont on ignore l’âge, qui a porté plainte. L’affaire avec l’ânesse n’est que peu évoquée. Dans le rendu du jugement, on considère que la bestialité est un fait certain. Toussaint Boudier est condamné à être pendu tandis que l’animal est brûlé. «Les procès concernaient aussi les animaux "complices", qui généralement subissaient une peine semblable à celle du coupable», précise l’avocat Emmanuel Pierrat dans le Sexe et la Loi.
Pendu pour sodomie et bestialité
Le Dr Ludovico Hernandez remarque que «la coutume judiciaire était de confondre sodomie et bestialité, comme si les antiques coupables des trois villes de la Bible [Sodome, Gomorrhe et Babylone, ndlr] eussent été indistinctement adonnés aux deux vices qui passent pour les plus monstrueux». D’autant qu’à l’origine, le terme de sodomie ne désigne pas seulement la pénétration anale. L’historienne Florence Tamagne note que, «même si du Moyen Age au XVIIIe siècle des homosexuels en furent victimes, les lois sur la sodomie pouvaient s’appliquer à des relations hétérosexuelles, à la bestialité et même de manière beaucoup plus vague à l’hérésie et à la trahison»1.
Mais l’historien Thierry Pastorello ajoute qu’au XVIIIe siècle «il y a un glissement dans l’emploi du terme de sodomie et sodomite. En effet, ce vocable finit par désigner ce que nous appelons aujourd’hui un homosexuel masculin»2. Il rappelle que «ce terme est chargé de symbole, celui de la destruction de la ville de Sodome»3. Dans l’imaginaire populaire, les homosexuels concentrent ainsi tous les vices, dont la zoophilie.
En 1532, sous Charles Quint, la Lex Carolina règle la procédure criminelle dans l’Empire romain germanique et va rester en vigueur pendant près de trois cents ans. Dans un paragraphe commun, elle met sur le même plan les relations sexuelles entre les hommes et celles avec un animal. En allemand, le terme de «Sodomie» désigne encore aujourd’hui des relations zoophiles.
Les bougres, ces «hérétiques homosexuels»
Dans le monde anglo-saxon, l’histoire est semblable. Aux Etats-Unis, même si la loi a été déclarée non constitutionnelle par la Cour suprême en juin 2003, l’Etat de Virginie estime toujours dans la même phrase que «si une personne connaît charnellement n’importe quel animal, ou connaît charnellement n’importe quel homme ou femme par l’anus ou par et avec la bouche», ce sont des «crimes contre-nature». Ces «sodomy laws» sont restées en vigueur pendant des dizaines d’années dans de nombreux Etats américains, influencés par la pruderie du grand frère anglais.
Outre-Manche, en 1553, sous le règne d’Henri VIII, le Buggery Act, promulgué par le Parlement, regroupe sous le terme de «buggery» - «bougrerie» en bon français - la sodomie et la bestialité. Cette définition, sous différentes formes, dure jusqu’au début du XIXe siècle. «Chaque personne qui a commis le crime de sodomie, que cela soit avec un homme ou avec un animal, et a été déclaré coupable, sera exécutée», juge-t-on en 1821.
Le mot «bougrerie» renvoie au vieux français «bogre» qui signifie «hérétique» et «débauché». Il est issu du bas-latin bulgarus qui désigne les Bulgares. A partir du Xe sicèle, ils sont villipendés par Rome pour avoir adopté une nouvelle doctrine, le Bogomilisme. Considérés comme des chrétiens hétérodoxes, ils rejetaient les princes, l’Eglise et le mariage. Durement réprimés car ils remettaient en cause l’ordre naturel de la société et de la famille, ils ont été accusés d’homosexualité et de sodomie pour être discrédités. En France aussi, les juges utilisaient ce terme. En 1550, Jacques Gion, accusé du crime de sodomie avec une vache, est coupable de «bougrerie». Pour l'anecdote, le «roi des Bulgares» dans Candide de Voltaire est une référence au Prusse Frédéric II et à son homosexualité.
Certains arguments des anti-mariage pour tous renvoient décidément à de bien vieux modes de pensée.