Faut-il craindre une aggravation de la crise ou pire encore ?
L'Insee vient d'annoncer une croissance zéro pour le premier semestre 2013 en France. Petit rappel de la fragilité financière de notre monde en mutation, pour tous ceux qui pensent que la crise n'est pas finie.
La crise que nous traversons est la suite logique des choix d’hier. Pour bien comprendre, il faut remonter à la fin des "30 glorieuses" d’après guerre, stoppées par les chocs pétroliers des années 70. Tandis que le monde communiste s’écroulait quelques années après, toutes les économies libérales occidentales étaient aussi confrontées à un sévère épuisement de la croissance. Pour relancer cette croissance, nous sommes rentrés dans l’ère de ce que les économistes appellent le « néolibéralisme ».
Il avait trois principaux piliers :
• Le développement de la mondialisation, marquée par l’émergence de nouvelles puissances économiques. C’est 1/3 du monde, parmi les plus pauvres, qui se met à produire bon marché, pour le plus grand bonheur des consommateurs des pays riches.
• La limitation de l’interventionnisme étatique puisque l’on fait l’apologie de « l’efficience des marchés ».
• Le développement intense de la diffusion de crédits, pour stimuler la consommation, donc la croissance.
Les "marchands" sont alors les nouveaux rois, les tout-puissants, car cela fonctionne. La croissance repart, la rentabilité moyenne des entreprises est même multipliée par 5 entre 1980 et 2007.
Les banques (qui sont aussi des entreprises marchandes) sont l’instrument privilégié de ce néolibéralisme. Elles bénéficient d’une réglementation permissive (suppression du cloisonnement entre les banques de crédit et les banques d’investissement mis en place après la crise de 1929) et profitent de mesures qui favorisent leur pouvoir (la bancarisation générale par exemple : tout le monde doit déposer son argent dans une banque).
Riches et libres, les banques investissent pour leur propre compte l’argent des dépositaires et s’octroient des crédits à elles-mêmes. Elles achètent des immeubles (des quartiers entiers), des entreprises (ou des bouts d’entreprises). Elles "financiarisent" l’économie. Elles investissent sur des marchés à effet de levier comme ceux ce que les professionnels appellent les "dérivés" où avec 1 euro, elles spéculent sur 100, transformant la bourse en casino.
Mais le recours au crédit s’est à ce point généralisé qu’il en est devenu excessif, pour tous les acteurs économiques :
• Les ménages (aux USA, on a même prêté à des familles que l’on savait insolvables).
• Les entreprises (dans les pays anglo-saxons toujours, avec la pratique de l’OBO qui consiste pour une entreprise à emprunter l’équivalent de sa valeur, afin d’investir puissamment sur les marchés notamment).
• Les Banques qui ont considérablement développé leurs propres investissements à crédit ou à découvert.
• Les États qui recourent à l’emprunt (par l’émission d’obligation) non plus pour investir mais pour fonctionner ou parfois seulement payer leurs dettes.
Or, le crédit consiste à prendre immédiatement la richesse de demain (en anticipant donc sur des revenus futurs). Évidemment, si ces recettes futures ne se fabriquent pas, c’est la panique !
C’est exactement ce qu’il s’est passé en 2008. L’économie mondiale a connu un moment de récession (moment de respiration normal dans une économie de marché), sauf que cette récession s’adossait à une situation de surendettement généralisée, d’où la panique des marchés bousiers, la peur du spectre de la crise de 29. Au cœur de cette panique, nous avons redécouvert que les établissements financiers (les Banques et les Compagnies d’assurances) pouvaient faire faillite comme toute entreprise et que notre économie financiarisée à outrance était en fin de compte devenue très fragile et même incontrôlable du fait de son caractère systémique (c’est-à-dire qu’un Établissement ou un État qui fait défaut, peut entrainer les autres).
Depuis, les marchés ont bien récupéré, notamment aux États-Unis. La capitalisation mondiale est revenue à son niveau d’avant 2008. En d’autres termes, l’histoire que nous relatent la bourse peut se résumer ainsi : la crise est derrière nous !
C’est aussi le discours que relaient les politiques et bien sûr les banquiers, qui voudraient que le monde d’hier se prolonge. C’est-à-dire que la thèse économique qui est défendue aujourd’hui encore reste "néolibérale", niant la rupture et l’alerte de 2008 qui nous parlent pourtant des limites atteintes par ce système.
La quasi-totalité des économistes non-attachés au monde bancaire ou gouvernemental estime pourtant que non seulement la crise n’est pas derrière nous, mais que les problèmes ont doublé de volume, pour certains d’entre eux.
• Par exemple, l’endettement des États occidentaux a globalement doublé; celui des entreprises s’est un peu réduit, mais pas celui des ménages (aux USA, 8 ménages sur 10 consomment toujours 110 % de ses revenus).
• Le chômage a doublé en Europe du Sud et aux USA, contrairement aux statistiques que l’on soumet au peuple, car là bas, non seulement la durée et le montant de l’indemnisation est 3 fois inférieurs aux nôtres, mais lorsque le demandeur d’emploi arrive en fin de droits, il sort des statistiques (il sort même de la population active). Décidément, on ne compte pas de la même façon en Europe que de l’autre coté de l’Atlantique.
• Toujours aux USA, 30 % de la population est tombée sous le seuil de pauvreté (5 % chez nous). Le soir, dans les grandes villes, on ouvre les gymnases pour servir « la soupe populaire ». Le nombre de personnes éligibles aux bons de nourriture augmente de plus d’un demi-million chaque mois. 8 millions de familles ont déjà perdu leur maison. La Banque Mondiale vient même de constater que le système de santé américain est devenu moins efficace en termes de mortalité infantile que celui de la Biélorussie ou de la Malaisie. Ce sont des faits !
• En Europe, la scission entre les banques de crédit et celles d’investissement est en cours pour éviter les abus d’hier. Aux USA, non ! Idem pour l’utilisation abusive des effets de leviers qui fait prendre des risques monstrueux aux banques, donc à l’argent des déposants.
En fait, la principale mesure qui a été mise en place depuis 2008 (à savoir la politique monétaire accommodante des banques centrales) est en réalité 'une intervention de pompier" qui fait plaisir aux marchés, mais les mesures qui pourraient embellir l’avenir des peuples n’ont pas encore commencé à être explorées.
L’effet d’optique que procurent les plans de quantitative-easing suffit à nous rassurer, nous laissant penser qu’effectivement, la crise s’éloigne. En effet, avec cette inondation de milliers de milliards de dollars et d’euros déversés par les banques centrales dans l’économie et les marchés, les affaires peuvent continuer; la circulation de l’argent est fluide. Mais cette politique de "planche à billets" de la FED et maintenant de la BEC, consiste à fabriquer de l’argent sans contrepartie de richesse (du faux argent en somme, comme les crédits insolvables qui ont conduit à la crise de 29 et à celle de 2008).
Ainsi, entre 2008 et aujourd’hui, on a partiellement substitué le crédit pour stimuler les marchés et l’économie, par la fabrication d’argent fictif, ce qui, au bout du chemin, revient au même, car pour mettre en face de cet argent « inventé » une production de richesse équivalente, on anticipe toujours sur la croissance demain. L’argent d’aujourd’hui reste l’argent de demain.
La question qui se pose est alors la suivante : comment allons-nous faire pour fabriquer demain, la croissance que nous n’avons pas su générer ces trente dernières années sans l’utilisation abusive du crédit, alors même que ce modèle a trouvé ses limites en 2008 ? Comment allons-nous fabriquer de la richesse alors que la croissance est en panne dans les économies occidentales et en net ralentissement dans les pays émergents ?
L’Europe est en récession, nonobstant ses problèmes de cohésion. Les États-Unis pourraient générer (selon les chiffres officiels) une croissance de 2 points l’année prochaine, mais en réalité, son endettement progresse 5 fois plus vite que son PIP, alors que les américains ont déjà des dettes abyssales (55 000 milliards de dollars : ils doivent plus d’argent que la valeur totale des entreprises cotées dans le monde). Enfin, la croissance des pays émergents se réduit au point qu’ils ne pourront plus aider les pays riches comme hier. Ils doivent désormais financer la création de leur propre middle-classe et développer leur marché intérieur afin de moins dépendre des exportations. On notera ici le caractère kafkaïen de cette situation où les pauvres devaient aider les riches à payer leurs dettes et à consommer. Quand les choses sont à l’envers, c’est bien que l’on marche sur la tête…
Pourtant, le maître mot qui court dans les bouches de tous dirigeants politiques, de tous les financiers, c’est encore et toujours : la croissance. Mais cette fameuse croissance ne pourra mécaniquement plus être aussi soutenue qu’hier et tout se passe comme si nous étions dans la négation de ce constat. Comme si l’on voulait maintenir un système économique "néolibéral" atteint d’un cancer (qui se prépare depuis 30 ans et qui s’est vraiment déclaré en 2008), en le soignant avec de l’aspirine, pour lui fluidifier le sang (l’argent qui circule en lui).
Nous sommes assis sur une véritable poudrière et nous le nions. Seule la taille de la mèche nous est inconnue; s’agit-il d’une mèche longue ou d’une mèche courte ?
La situation est explosive car (en Europe et encore davantage dans le monde anglo-saxon) elle porte en elle tous les ferments d’une nouvelle crise majeure, peut-être comparable à celle de 1929, avec une forte probabilité de faillites bancaires et de compagnies d’assurance. Les États le savent si bien que l’essentiel du temps de travail lors des 4 derniers sommets européens a été consacré au sauvetage des banques (d’où la création de "l’union bancaire"). Les premières faillites ont déjà commencé et ce phénomène pourrait fortement s’accélérer, avec comme toile de fonds d’une part, la crise des dettes souveraines qui impacte massivement les établissements financiers, et d’autre part la désillusion qui viendra des USA dans les mois à venir.
Sur le plan patrimonial, pour nous épargnants, le choix d’une banque ou d’une compagnie d’assurance s’appuyait hier sur des considérations relatives à sa notoriété, à ses tarifs, son implantation. Aujourd’hui, il faut en priorité faire son choix selon des critères de solvabilité afin de passer, dans les meilleures conditions possibles, la crise financière et bancaire que l’on devrait rencontrer dans les mois à venir. Dans un tel contexte de risque, il s’avère plus prudent de prendre des mesures pour préserver son patrimoine, en bon père de famille. Il ne faut pas hésiter à protéger ses portefeuilles de valeurs mobilières et plus généralement tous ses actifs financiers, afin de pouvoir mieux rebondir en sortie de crise et saisir des opportunités qui ne manqueront pas de se présenter. En attendant, il faut bien choisir ses banques, ses compagnies d’assurance et privilégier les solutions d’investissement patrimoniaux sécurisés par des établissements dont on peut valider la solvabilité.
Ensuite, plus philosophiquement, on peut s’interroger sur cette situation alarmante. Si nos modèles de croissance sont en panne, quel est le message que de la crise de 2008 porte en elle ? Pourquoi avons-nous tant de mal à fabriquer cette croissance pour laquelle nous œuvrons tous, tous les jours, jusqu’à nous en rendre malade ? Peut-être que nous voulons générer un développement économique à une vitesse supérieure à celle du progrès scientifique et technologique ? Peut-être que notre avidité appelle plus de rapidité que le progrès ne le permet ?
Par exemple, on sait désormais qu’il faudrait sept Terres si tout le monde voulait consommer comme les américains ; trois Terres pour que tout le monde ait le même niveau de vie qu’un français. Alors, n’avons-nous pas atteint les limites de se que peut nous donner notre Terre, pour l’instant en tout cas, en l’état actuel de nos connaissances ?
A une époque où un tiers du monde vient de décider d’arrêter d’avoir faim (les pays émergents) et demain l’Afrique, ne sommes nous pas en train de demander quelque chose d’impossible : de la croissance, encore de la croissance, alors qu’il est très probable que nous venons de rentrer dans une ère où c’est le partage qu’il nous faut apprendre. Partager l’enrichissement sur la scène économique internationale et au sein même des nations. Dans cette nouvelle aventure, il faudrait rester pragmatique plutôt de dogmatique si l’on veut éviter l’exode des richesses et des talents qui sont créateurs d’emplois. Par exemple, il conviendra d’éviter de confondre la contribution des plus riches avec leur spoliation, comme certains pays sont tentés de le faire. L’ennemi n’est pas le riche, mais plutôt notre obsession à générer de la croissance artificiellement dopée, auquel s’ajoute notre difficulté à organiser un partage équitable.
En somme, la crise de 2008 est déjà oubliée alors qu’elle n’était très probablement que les prémices d’une crise plus importante, celle d’un modèle économique qui bute sur des limites infranchissables pour le moment, celle de la Terre, de notre Savoir et de leur exploitation. Il est fort possible que l’Homme soit arrivé à une époque de son histoire où il doive apprendre à mieux gérer son antagonisme : convoiter tout en partageant. C’est certainement cela le message de la crise de 2008. Et si tel est le cas et que nous ne l’entendions pas, nous courons un risque supérieur à celui d’une nouvelle crise mondiale.
Dans cette perception des choses et contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, la croissance de demain dépend plus de notre capacité à innover et à partager plus équitablement, que d’un système économique. Espérons que nous en prendrons conscience à temps.