ODE à LA MASTURBATION
Je hais ces vils auteurs dont la muse impudique,
Réservant ses faveurs aux choses érotiques,
S'exhale en vers ardents, tendres et langoureux
Pour chanter longuement l'amour qu'on fait à deux.
L'un brûlant certains soirs d'un secret prurit,
Rime quelque sonnet, prodrome d'un coït.
Un autre, descriptif, vous remplira des pages
Pour vous montrer comment se perd un pucelage.
Un troisième, incompris, provoque par l'obscène
La sénile émotion d'un lubrique mécène.
Une autre, dans ses vers tout dégoûtants de sperme,
Sait du jeune écolier fouetter l'épiderme.
Ce genre est bien commun, ces oeuvres bien vulgaires :
Ce que je peux chanter, c'est l'amour solitaire
L'amour qu'on fait tout seul, sans collaboration,
L'amour indépendant : c'est la masturbation.
Arrière, admirateurs du cloaque utérin,
Lâches et vils servants de l'être féminin !
Savourez le beau sexe, la femme toute nue
À l'informe grossesse, aux fentes incongrues.
Arrière, vous aussi, immondes pédérastes,
Des sodomiques jeux, rénovateurs néfastes !
Vous, du boyau fétide ignobles visiteurs,
Cherchez dans l'excrément à calmer vos ardeurs.
Mais vous tous qui souffrez d'amoureuses pléthores,
Pour calmer à l'instant le feu qui vous dévore,
Et pour vous soulager, n'employez que la main.
Gardez-vous d'implorer le secours du prochain !
Lorsque dans votre chambre de célibataire,
Vous regagnerez le soir votre lit solitaire,
Avant de sommeiller, pensez à quelque belle,
Et dans vos draps discrets, masturbez-vous pour elle.
Méprisez les faveurs des femmes inconstantes,
Méprisez, des enfants, la marmaille encombrante :
Résultat trop fréquent d'amoureuses prouesses.
Masturbez-vous toujours, masturbez-vous sans cesse.
Riez du maladroit dont le sexe audacieux
Sortit endommagé d'un coït hasardeux ;
Fuyez les lupanars, moquez-vous des pucelles ;
La main crispée sera votre unique femelle.
Le matin, le midi, le soir, par tout les temps,
Dès que vous êtes seul, prenez votre instrument.
Comme disait Boileau, même quand vous pissez,
Polissez-le sans cesse et le repolissez.
Ne perdez pas courage et, par votre patience,
Vous pourrez obtenir de doubles jouissances.
Évitez que le sperme dans le testicule
Par longue inaction s'arrête et s'accumule.
C'est un poison certain ; c'est le goagulum
Que les anciens nommaient le "Cauda Venenum".
Beaucoup de débutants, masturbateurs novices
Ont recours à l'emploi de divers artifices
Pour hâter le moment de l'éjaculation
Comme verres de lampe et goulots de bouteilles.
Ne vous abaissez pas à des choses pareilles
Ce sont, à mon avis, d'indignes procédés,
C'est singer le coït et non se masturber.
C'est en somme adapter ses parties génitales
Sur un vagin plus froid, plus docile, moins sale.
Nos pères ont lutté pour n'être plus esclaves
Ils ont donné leur sang pour briser leurs entraves.
Sur un autre terrain, prouvons notre vaillance
Et vouons notre sperme à notre indépendance :
Pourquoi subir la loi d'un sexe différent
Quand, tout seul, on peut être autonome et content.
Calmons de notre main nos élans amoureux,
Quand on peut jouir seul, pourquoi s'y mettre à deux ?
Prière
Sainte masturbation, déesse solitaire,
Patronne des couvents, cloîtres et monastères
Des proscrit de l'amour, vision enchanteresse,
Envahis l'univers, règnes-y en maîtresse ;
Puisse le monde entier, comblé de tes faveurs,
Tout en se dépeuplant, redevenir meilleur.
Certain du résultat du présent plaidoyer,
Je le termine ici ... et cours me masturber.
Dans mes souvenirs, je crois que c'est un texte de
Victor Hugo.