Le Commandant Cousteau n'était peut-être pas celui qu'on nous a dépeint pendant des décennies . Apparemment, il avait compris l'importance du médiatique, du relationnel et du politiquement correct....
Dans le nouveau siège de sa fondation (250.000 adhérents), hôtel particulier gardé par des scaphandres, Cousteau communique en buvant de l'eau Perrier. On n'interviewe pas le commandant, on écoute un argumentaire. Lorsqu'on ose une question, il dit: «Vous me brusquez un peu.» L'attachée de presse maison note. Lui rame pour légitimer le caractère scientifique de ses expéditions. Les plongeurs de la Calypso ont raconté comment, pour obtenir des images séduisantes, ils avaient manipulé les animaux. Employant, par exemple, une solution de chlorax sur les pieuvres (Pieuvre, petite pieuvre, 1972) (1). Les belles images ont un prix. Cinq à six millions de francs le tournage. Cousteau ne tourne pas des documentaires, mais des films scénarisés à Hollywood, qui exigent des supercheries. «Ted Turner a les droits pour l'Amérique du Sud et du Nord. Avec l'aide de la banque Worms, nous avons monté une société de production à Majorque pour les droits dans les autres pays», dit JYC. Prononcer «Jique», comme madame Cousteau II, une plantureuse qui chaloupe dans les parages, sur des escarpins à motif panthère.
«Mauvais traitements infligés aux animaux? Moi qui évite d'écraser les fourmis"», JYC enchaîne sur les grandes menaces qui alimentent ses films et le fond de roulement de la fondation. Explosion démographique. Réchauffement de la planète. Et parle de Cousteau Junior, le magazine que lance le groupe Hachette en novembre. S'il a réussi sur le plan commercial, ses autres tentatives sont moins heureuses. L'Argyronète, projet de sous-marin futuriste qui échoua, coûta 57 millions de francs en 1972 aux contribuables français. Après une tempête financière enregistrée par la Cour des comptes, Cousteau quitta la France et entama aux Etats-Unis une carrière en mondovision. Sa célébrité lui valut de vanter des croquettes de poisson congelé à la télévision britannique. Le parc océanique Cousteau, aux Halles creusa, lui, un passif abyssal de 10 millions de francs avant de sombrer. L'Aquaboulevard a racheté la baleine en carton-pâte. Quand on aime, on ne compte pas.
Cousteau jouit d'un droit d'expression tout terrain sur le seul crédit de sa popularité. Au box-office (2), il dispute la première place à l'abbé Pierre. Les médias pour grandes personnes lui sont ouverts, sur des motifs plus sentimentaux que rigoureux. Pour qu'il s'exprime sur les essais de Mururoa, le Monde lui offre sa Une. En janvier 1986, à Punta Arenas (Chili), Cousteau se dit totalement opposé aux essais dans le Pacifique Sud. En 1988, dans France-Soir, il déclare les tirs français inoffensifs. Est-ce un effet du hasard? Quelques mois plus tard, Pierre Joxe, ministre de la Défense, offre un million de francs à la fondation, pour la construction de la Calypso II. En 1995, Cousteau dénonce les essais et" les déclare sans danger.
Ancêtre du «politiquement correct», Cousteau est aujourd'hui victime de sa réussite. Comme Walt Disney, son histoire et sa vie privée sont passées au sonar. Séquence Occupation: JYC a passé la guerre en apnée. Aux îles de Lérins. Son premier court-métrage, Par 18 mètres de fond, réalisé en 1943, reçoit les éloges de Lucien Rebatet dans Je suis partout, son frère aîné, Pierre-Antoine Cousteau, en
est le rédacteur en chef. Condamné à mort après la guerre, ce dernier quitte Clairvaux dix ans plus tard, brouillé avec JYC à qui il reprochait de l'avoir délaissé en prison. Les deux hommes n'étaient pas sur la même longueur d'onde.
Séquence dynastique: il intente ces jours-ci un procès à son fils aîné, pour utilisation abusive de leur nom. Celui-ci a installé dans les îles Fidji un complexe de vacances baptisé Cousteau les Flots Bleus. «Mon fils est charmant, mais il n'est pas capable. Ce n'est pas parce qu'un gosse est né de votre sperme qu'il a les qualités nécessaires pour vous remplacer», a-t-il un jour déclaré au Nouvel Economiste. Jean-Philippe est le fils de madame Cousteau I, décédée en 1990, après cinquante ans de service à bord de la Calypso. «Simone fut la seule femme de marin à avoir attendu son mari en mer», a dit Falco, un plongeur du navire. Le second fils du commandant, Philippe, est mort en 1979 dans le crash d'un hydravion. Il y a deux ans, le commandant se remarie avec Francine, ex-hôtesse de l'air, et présente deux Cousteau junior de 13 et 15 ans.
Lorsqu'on demande au commandant ce qui génère sa popularité, il dit: «Je n'ai jamais raconté de bo-bards.» En voilà justement un... et c'est ce qui a fait son charme. Durant quatre décennies, Cousteau a approvisionné les enfants des villes en féeries aquatiques. Sa biographie n'est pas formatée sur ce modèle. Mais pourquoi, en l'apprenant, les grandes personnes réagissent-elles comme des enfants?.
Marie-Dominique LELIÈVRE