Aujourd’hui, on va apprendre à frauder le fisc. Ouais, carrément, on est des fous chez ETC. Imaginez-vous un peu à la tête d’une multinationale. Vous n’êtes pas très honnêtes dans l’âme et, toute l’année durant, vous vous êtes remplis les fouilles avec l’argent de la société. Sachez-le, vous avez tout mon soutien. Après tout, c’est la crise pour tout le monde et il faut bien réussir à payer le crédit de son hôtel particulier parisien et de sa Mazeratti flambant neuve.
Vous êtes malhonnête, c’est une chose, mais tâchez maintenant d’être intelligent. C’est l’heure du bilan comptable et il va bien falloir réussir à truquer les comptes le plus discrètement possible…
Qu’à cela ne tienne! N’écoutant que votre courage, vous vous emparez du bilan comptable annuel (non sans avoir viré votre comptable au préalable, cela va de soi – il aurait été capable de vous dénoncer auprès des actionnaires, le con) et vous vous mettez à changer tous les chiffres pour retomber sur vos pattes. Votre stratégie est parfaitement rodée. Vous avez une explication valable pour TOUTES les lignes de dépenses et vous avez mis sur pied un baratin digne des plus grands interprètes de la Comédie Française.
Autant vous dire que l’inspecteur des Impôts, vous n’allez en faire qu’une bouchée!
Le devoir accompli, vous vous assoupissez l’esprit serein dans votre lit King Size, non sans avoir déposé un bisou plein d’amour sur les lèvres de votre épouse adorée. À ce moment précis, vous êtes persuadé d’être le Roi du monde et que rien ni personne n’arrêtera votre ascension sociale.
Hum. Hum.
Je me pose une question. Avez-vous pensé à la loi de Benford avant de vous ruer tête baissée sur vos falsifications?
Non?
Aïe aïe aïe…
La loi de Benford, la loi mathématique la moins intuitive du monde
Prenons une liste de nombres quelconques, par exemple ceux qui composaient le bilan financier de votre société avant que vous ne commenciez à la falsifier, et analysons les premiers chiffres de chaque nombre.
(et QUE les premiers chiffres de chaque nombre, appelé « chiffre significatif ». Ainsi, sur la liste des nombres 28, 891, 4.657, 214.751 et 17, nous n’analysons que, respectivement, les chiffres 2, 8, 4, 2, et 1.)
(Vous suivez toujours?)
Vous pensez sans doute qu’il y a autant de nombres qui commencent par un 1 que par un 4, ou encore par un 6. Dis plus clairement, si on isole le premier chiffre de tous les nombres composant votre bilan financier, il devrait y avoir en moyenne 11.1% (1 sur 9) de 1, 11.1% de 2, 11.1% de 3, etc… A priori, il n’y a aucune raison pour qu’un chiffre apparaisse plus fréquemment qu’un autre.
Cela semble logique, et, d’ailleurs, pourquoi cela en serait-il différemment?
AB-SO-LU-MENT logique.
Pourtant, ce raisonnement est TOTALEMENT faux!
(et on se rend compte qu’il faut se méfier de ses intuitions en maths.)
Benford (1883 – 1948) est un ingénieur américain qui fit le constat d’une chose tout à fait étonnante. Il s’est rendu compte que dans une liste de nombres, quelque soit le domaine considéré, le chiffre significatif (c’est-à-dire le premier chiffre d’un nombre) le plus fréquent est TOUJOURS le 1! La fréquence d’apparition du 1 est exactement de 30.1%, contre par exemple 5.8% pour le 7 ou 4.5% pour le 9. (ça marche avec votre dernier relevé bancaire, le ticket de caisse de vos dernières courses, la liste des longueurs des rivières françaises ou même les statistiques sur la fréquentation touristique du Turkménistan)
(bien sûr, il faut quand même que votre liste possède suffisamment de nombres pour être représentative)
(genre avec une liste de 4 ou 5 nombres ça marche pas. Mais avec une liste de plusieurs centaines ou milliers de nombres, ça marche)
C’est plus clair avec un beau dessin:
Pourquoi je vous raconte tout ça, à vous le gérant de société qui venez de falsifier vos comptes? Eh bien, sachez, cher ami, que l’administration fiscale a très bien compris cette loi et qu’elle a mis au point un procédé très simple et rapide pour détecter les fraudeurs!
Il lui suffit de récupérer l’ensemble des nombres rentrés dans un bilan comptable et d’analyser la fréquence d’apparition du premier chiffre de chaque nombre. Si leur distribution statistique ne suit pas la loi de Benford, bingo! Il y a fort à parier qu’il y a anguille sous roche et un inspecteur peu sympathique se fera une joie de le démontrer en poussant ses investigations…
La raison est simple: dans des données falsifiées, on constate que les chiffres 5 et 6 prédominent toujours (les 5 apparaissent environ 40 % du temps et les 6, environ 20 %). Ici, ce n’est pas une « loi » mathématique à proprement parler, mais seulement la faute à notre cerveau qui ne sait pas générer une suite de nombres de façon « naturelle ». Gageons que si le 5 est toujours largement sur-représenté, c’est parce que l’esprit humain essaye de « couper la poire en deux » pour tenter de passer incognito…
L’histoire ne dit pas combien de petits malins se sont fait choper à cause de ce satané Benford!
Si on peut même plus frauder sans être bon en maths, j’vous jure…