Ave Maria, une ville nouvelle née de la foi(Renaud Girard, notre envoyé spécial à Ave Maria (sud-ouest de la Floride) - 27/10/2008 | Mise à jour : 21:21) Tom Monaghan, le fondateur de Domino's pizza devant l'église d'Ave Maria presque aussi haute que la cathédrale Saint-Patrick de New York. Crédits photo : ASSOCIATED PRESS Tom Monaghan, self-made-man, roi de la pizza, fondateur de Domino's Pizza et milliardaire, a eu un jour une révélation. Il s'est dépouillé de tout pour bâtir en Floride une cité et une université préservées des péchés du monde. En Floride, à l'ouest de l'immense marais des Everglades, une petite ville nouvelle est née. Surgie au milieu de nulle part, loin des côtes, Ave Maria n'est pas une promotion immobilière de plus du
«Sunshine State», la destination touristique préférée des Américains, mais une ville entièrement dévouée à la Vierge, et plus généralement à la foi catholique.
Sur l'esplanade, entre les bâtiments de l'université catholique d'Ave Maria et l'église, presque aussi haute et vaste que la cathédrale Saint-Patrick de New York, flottent trois drapeaux. Au centre, la bannière étoilée, comme dans n'importe quelle bourgade d'Amérique. À gauche, le drapeau de la Floride avec sa grande croix rouge de St George. À droite, l'étendard jaune et blanc du Vatican. Benoît XVI n'est jamais venu ici, mais sa photo trône partout, y compris au mur de The Bean, le seul café d'Ave Maria, dont les menus précisent que l'établissement fonctionne avec des principes ne se résumant pas à gagner de l'argent.
Former les futurs soldats du ChristL'axe central de la ville et de l'église - mélange de gothique et de modernisme inspiré de Frank Lloyd Wright - suit un azimut d'exactement 77 degrés et 11 minutes, de manière à ce qu'il soit baigné de soleil levant tous les 25 mars, jour de la fête de l'Annonciation. Autour de l'église, une place en ovale, comme à Sienne. Ici, pas de rue du Mayflower, ni d'avenue Jefferson, ni de place de la Constitution ; mais des allées en dalles aux noms chargés d'histoire chrétienne : Assise, Avila, Loyola…
Ce dimanche, la grand-messe de 12 h 30 est en latin, le prêtre officie de dos, selon le rite de saint Pie V. La plupart des jeunes femmes ont couvert leurs cheveux de mantilles, noires ou blanches. La communion est reçue à genoux. Après l'ite missa est, un laïc invite au micro les fidèles à se mobiliser politiquement contre l'avortement, indiquant les campagnes de sensibilisation en cours (toutes non violentes), en Floride, et sur l'ensemble du territoire national.
L'assistance est beaucoup plus jeune qu'elle ne le serait en France. Il est vrai que le campus de l'université catholique d'Ave Maria compte 600 étudiants alors que les résidents permanents de la ville adjacente ne sont pour le moment que 300. Mais les promoteurs espèrent, en fin de construction, 8 000 résidents. Il y a déjà le parcours de golf, les terrains de tennis, les centres de fitness, qui sont les prestations obligatoires de toute promotion immobilière s'adressant aux classes moyennes américaines. Sur le réseau câblé de télévision, aucune chaîne ne diffuse de la pornographie. De 200 000 à 500 000 dollars, le prix des villas est infiniment plus bas que sur la côte.
Ave Maria ne recherche pas la rentabilité économique, car son fondateur en est aussi le mécène. Tom Monaghan, 71 ans, est un milliardaire aspirant à la pauvreté. D'extraction modeste, ayant perdu bébé son père, Tom passe sa jeunesse dans un orphelinat catholique du Michigan, où deux métiers seulement le font rêver : prêtre et architecte. À 20 ans, pour financer ses études supérieures, il monte une petite affaire de pizza. Il ne finira jamais l'université, la réussite de son commerce l'accapare trop. Au fil des années, la pizzeria de quartier se transforme en chaîne d'envergure nationale, Domino's Pizza. Le self-made-man devient milliardaire.
En 1991, il a une révélation en lisant un essai apologétique sur le christianisme du célèbre romancier irlandais C. S. Lewis (le père des Chroniques de Narnia). Lewis y décrit l'orgueil - ou l'obsession de posséder plus que son voisin - comme le vice essentiel, d'où découlent tous les autres péchés. Monaghan décide alors de se dépouiller de tous les jouets de milliardaire qu'il a accumulés. Il vend son yacht, son hélicoptère, sa Bugatti Royale, ses Rolls Royce, son île privée sur le lac Huron. Pour pouvoir se consacrer entièrement au service de l'Église catholique, il vend aussi son entreprise en 1998, pour un montant estimé à un milliard de dollars.
Mary a le féminisme en horreurMonaghan est un catholique traditionaliste, attaché à la confession et au dogme millénaire. Il se met à financer les radios catholiques conservatrices, les réseaux de rencontre catholiques, les campagnes politiques antiavortement ou antihomosexuels. Pour former les futurs soldats du Christ sur terre, il fonde une université catholique dont la devise est : Ex corde ecclesiae, veritatis splendor.(«La vérité, dans toute sa splendeur, provient du cœur de l'Église.»)
Avec la création de la ville d'Ave Maria, développée autour de son université et de son église, Monaghan change d'échelle. Rejoignant les grands utopistes américains, il veut créer une nouvelle Jérusalem, une communauté qui puisse faire exemple, dans son refus de la
«corruption» de l'hédonisme consumériste contemporain.
Après la messe, quelques étudiantes s'en vont déjeuner, pour six dollars, à la cafétéria du campus, ornée de reproductions des fresques de Fra Angelico. Jolie fille de 18 ans, Mary Crnkovich livre, sans aucune timidité, au journaliste étranger, ses opinions bien arrêtées. Issue d'une famille bourgeoise très pieuse de Washington aux origines croate, allemande et irlandaise, elle a choisi elle-même d'étudier à Ave Maria. Elle condamne l'éducation que ses cousins reçoivent à l'université de Georgetown (où les frais de scolarité sont quatre fois plus importants),
«qui n'est catholique que de nom. C'est un endroit où la prière et les sacrements ne sont plus promus, où les beuveries du samedi soir sont courantes, où la permissivité sexuelle est tolérée, bref où tout est fait pour qu'on y perde la foi !» Mary, qui a le féminisme en horreur, proclame avec fierté son absence de toute ambition professionnelle classique.
Solide en latin et en philosophie classique, bonne pianiste, elle est venue ici étudier l'orgue, afin de pouvoir jouer plus tard de la musique sacrée à l'église. Les garçons ?
«Si ma vocation est bien d'être un jour mariée et d'élever chrétiennement mes enfants, je suis sûr que Dieu m'enverra, à l'heure qu'il aura choisie, un mari.» Comme son amie Catherine Estis, venue d'une famille de petits Blancs d'Alabama, Mary votera pour McCain.
«Entre deux maux, il faut choisir le moindre. Sur l'avortement, Obama est pro-choix, ce qui pour moi veut dire pro-mort !» Catherine renchérit :
«C'est quoi, ce droit d'avoir un enfant quand je le souhaite ? C'est comme celui de m'acheter une voiture quand cela me chante ? Dans cette idéologie moderne, mon enfant, au lieu d'être une créature de Dieu, devient ma propriété ! Obama nous serine les oreilles avec nos “droits” ; c'est un égalitariste dissimulé, il est en contradiction avec la parabole des talents (Matthieu, chapitre 25, NDLR) !» Adepte de la théorie créationniste du
«dessein intelligent», Catherine ne refuse pas pourtant en bloc le darwinisme. À une exception près :
«L'idée que l'homme puisse descendre du singe m'a toujours paru particulièrement idiote !» Honnête intellectuellement, Catherine reconnaît que l'idéologie ségrégationniste est encore très répandue dans son État natal. Là aussi de manière très tranchée, elle affirme :
«La ségrégation constitue un péché grave, un péché d'orgueil, un point c'est tout.»Les étudiants et les résidents d'Ave Maria sont très majoritairement pro-McCain, mais pas exclusivement. Citoyenne américaine originaire d'une famille très catholique du Nicaragua, Johanna Mayorga est étudiante en deuxième année de gestion. Elle rêve de travailler plus tard dans une ONG caritative et votera Obama, parce qu'il
«est contre les guerres, et qu'il a travaillé pour les pauvres dans sa jeunesse. La seule chose que je lui reproche, c'est sa position sur l'avortement». Johanna ne regrette pas l'université du Massachussetts, où elle a passé sa première année d'études supérieures.
«Mes camarades étaient très gentils, mais ils ne cessaient de me demander comment je pouvais croire en Dieu et faire mes prières ! Aucun harcèlement dans leur attitude : simplement une totale incompréhension !»«Les vertus de la responsabilité individuelle»Originaires de Pennsylvanie, John et Patti Defelice n'auraient jamais pensé prendre leur retraite en Floride, s'ils n'avaient entendu parler du projet de Monaghan.
«C'est l'Esprit-Saint qui m'a guidé vers cette ville où les voisins s'entraident», explique Patti, souriante grand-mère de treize petits-enfants, qui va à la messe tous les matins. Ingénieur de formation, entrepreneur ayant vendu à ses cadres sa PME métallurgique, John ne voit,
«comme Einstein», aucune contradiction entre la science et la foi. Il se sent bien dans cette petite ville, dont les résidents
«partagent les valeurs morales qui font la beauté de notre civilisation». Il votera McCain,
«un patriote qui croit comme moi aux vertus de la responsabilité individuelle», tout en affirmant qu'
«Obama est à l'évidence un homme bien».