Salut à François Baudot, l'hommage de Bernard-Henri Lévy
C’était un personnage de Proust. C’était, comme aurait également dit Sartre, un individu « sans importance collective » dont la mort, j’imagine, ne fera que quelques lignes dans les journaux.
Il s’appelait François Baudot. C’était un vieil ami que je ne voyais plus guère, mais dont le suicide, à 60 ans, me bouleverse.
Je le revois, colossal et raffiné. Secret et fulgurant. Plus snob qu’un personnage de Thackeray et, plus encore que lui, Thackeray, tenant le snobisme en dédain. Je le revois, depuis les années Palace, détectant comme personne l’esprit du temps qui vient mais s’en détournant à l’instant très précis où cet esprit va s’imposer.
Je l’entends, dans nos dîners d’été, incollable sur la peinture italienne et l’art contemporain, l’histoire de France et ses permanences, les clés des livres de La Bruyère, Saint Simon, Balzac ou, à nouveau, Proust.
Je me souviens de cet « Art d’être pauvre », érudit et délicat, que ce grand dandy, sans oeuvre comme il se doit, avait fini par se décider à écrire et dont je fus un peu l’éditeur.
Je le revois, la dernière fois où nous nous sommes croisés, avec ce visage trop charnu, comme tuméfié, qui ne lui ressemblait plus et où j’aurais dû voir le signe d’un désaccord définitif avec ce monde. Peu d’hommes auront à ce point senti leur temps et l’auront si puissamment détesté. Peu de contemporains en auront, comme lui, François Baudot, pressenti les rendez-vous mais sans jamais y trouver vraiment sa place.
On a dit de Robert de Montesquiou qu’il est mort de s’être reconnu, trop reconnu, dans « A la recherche du temps perdu ». Se pourrait-il que l’on meure, aussi, de n’avoir pas trouvé sa « Recherche » et d’être resté, jusqu’au bout, un personnage en quête d’emploi ? Une sorte de Charles Haas qui n’aurait pas rencontré son Proust, ne serait jamais devenu Swann et en aurait conçu un irrémédiable chagrin