Cher Augustin,
Cela fait plusieurs jours que je pense à toi, inlassablement...
Les pieds mouillés, dans ma banlieue chic, je me faufile entre les flaques et songe comme beaucoup d'autres à ce qui adviendra ce soir des exclus, des moins exclus qui rentrant d'un travail mal payé, ne connaissent pas leur point d'arrivée.
Tu les aimes, toi, les exclus, tu leur a fait une grande déclaration d'amour il y a maintenant 4 ans et tu continues à leur être fidèle.
Je ne suis pas jalouse car je les aime aussi, tu sais mais toi, tu as gagné leurs coeurs, parmi ceux que tu as permis de reloger, par la force de ton combat. Je ne prétends pas vouloir rivaliser avec toi.
En 2007, je me souviens: une femme toxicomane avec son conjoint de l'époque, violent et sadique, et je souhaitais utiliser l'outil de l'hébergement pour la séparer de lui. Elle en avait envie, j'avais trouvé une solution, pour elle seule, et puis tu es arrivé et là, ils ont décidé, tous les deux, d'aller crécher sous une tente, avec toi, parce que déjà l'Etat avait réquisitionné les hébergements existants, laissant alors à la traîne ceux qui attendaient depuis plusieurs semaines. Elle est restée avec lui, rien de très étonnant en fait, tu n'y es pas pour grand chose, ne culpabilises pas, je t'en prie.
J'en ai un autre, toxicomane stabilisé et malade, qui n'a pas obtenu la chambre d'hôtel qui lui était garantie, après une procédure d'admission, parce qu'alors les "Don Quichotte" avaient alors le privilège de la priorité. Là, tu peux culpabiliser, il me semble....
Je t'ai découvert en 2007, je t'ai régulièrement entendu en 2008, 2009 et aujourd'hui en 2010 faire tes déclarations d'amour au nom des exclus et j'ai envie de te répondre, non en leur nom, mais au mien seulement.
Ah Augustin, injustement nommé successeur à l'Abbé Pierre...réunissant alors autour de toi, en 2007, plus d'une quarantaine d' associations pour un Droit au Logement pour Tous. Tu les as tous scotché avec ton idée novatrice, tu les a pris par surprise: on pourra au moins te reconnaître cela.
Et tout le monde t'a suivi, personne ne s'est levé contre ce mouvement qui prétendait bousculer le système et qui à vouloir le bousculer, la verrouiller de l'intérieur. Personne n'a vu venir l'évidence: créer un Droit, c'était avant toute chose, faire intervenir l'Etat sur tous les dispositifs existants, légiférer universellement l'accès à l'abri c'était emboliser encore davantage un système qui peinait à avancer, c'était nier les différences existantes dans l'exclusion. (personnes malades, familles expulsées, familles migrantes, grands exclus...). Moi, simple assistante sociale, j'y ai pensé à l'époque: étais-je toute seule?
En 2007, on ne pouvait pas te critiquer, Augustin... Comme si la question de l'exclusion pouvait se satisfaire de la médiocrité...en pleine période électorale, tu t'es pas méfié que c'est la boîte de Pandore que t'ouvrais.
Tu continues et continues à prendre la parole chaque hiver, à défendre des positions en oubliant cruellement ce à quoi tu as participé: la mise à mort d'un système public et associatif, compétent et spécialisé mais en manque cruel de moyens.
Car depuis 2007, que s'est il passé? Le Droit au logement opposable, qui ne demeure qu'un droit, mais qui, parce que c'est un droit, a ouvert les vannes de l'ingérence. La question du logement et de l'hébergement est devenu une mission d'Etat et à ce titre, l'Etat intervient dans toutes les questions qui s'en rapportent. Concrètement, certains départements se sont désengagés de cette question (exit les dispositifs départementaux qui assuraient "un peu"), la demande départementale de logement social disparait et devient régionale, l'accès aux structures d'hébergement est désormais centralisé par une instance départementale mais nationalisée et purement administrative (le SIAO) qui "dispatche" les demandes et ce sur toutes les structures associatives, quel que soit la spécificité et l'historique de leur travail. Ils ont pour obligation de jouer le jeu: normal, leur payeur c'est l'Etat et avec la régionalisation, on est baisé.
La proximité n'existe plus, le travail de partenariat est gravement mis en danger. Mais à quoi pensais tu en 2007? Tu t'es pris pour Coluche ou quoi, t'as cru au Grand soir??!...Toi et tes comparses vous nous avez enterrés, nous travailleurs sociaux et eux les exclus, vivants. On devrait s'en mordre les doigts,nous professionnels du social, d'avoir laissé faire, d'avoir continuer à oeuvrer en silence sur nos situations comme si la vie en dépendait...
Concrètement que se que t'as foutu?
Avant 2007, tu attendais deux heures pour obtenir une possible place d'hébergement avec le samu social. Maintenant, c'est 4h pour une personne seule et encore si t'arrives à les avoir...Pourquoi? Parce que tu disais que c'était dégeulasse et inhumain de remettre les gens au bout d'une ou deux nuits. Quelle a été ta solution? Les places d'urgence sont devenues des places de stabilisation, c'est à dire "J'y suis, j'y reste": tant mieux pour ceux qui y étaient déjà et les nouveaux? Ils vont où eux? Quelqu'un était il assez naif pour penser que l'Etat allait doubler le nombre de places d'urgence ou de stablisation? On s'est juste contenté de transformer la soupe, sans y apporter d'ingrédients supplémentaires....Je me souviens: tu étais contents de tout ça, tu attendais les résultats des engagements pris, promettant d'être vigilant, tout de même: Ah ouais?
Et les familles? Les familles, n'y pensont même pas: a titre personnel, j'ai déjà passé 6 hrs au téléphone( au mois de septembre) avec deux lignes séparées sur haut-parleur avec en son dolby surround "Vous êtes bien au 115, ne quittez pas, nous allons donner suite à votre appel..." ca raccroche, tu rappelles et à 17H30, tu laisses tomber parce que de toute façon, passé 10H, tu sais que t'aurais rien...D'ailleurs qu'est ce qui m'a pris de continuer: l'éthique, bien sûr, si chèrement enseignée...Putain, 3 ans d'étude: pour ça!!!!
T'as une réponse à me faire pour la mère avec son gamin qui va crécher dehors? Tu les accueilles chez toi?Parce que moi, non...3 ans d'études pour appréhender la distance suffisante...
Ton militantisme à la con a signé notre mise à mort, à vouloir faire la révolution, tu les a sacrifiés: les malades mentaux, les femmes avec enfants, les toxicomanes, les travailleurs pauvres, les sans-papiers...et un travail de long haleine qui s'intitule le "partenariat inter-institutionnel" et qui résidait dans un échange de pratique professionnelle éclairée.
Alors quand je sens la neige sous mes pieds et que j'entends ta voix de clown comme si la fin du monde était proche, je suis furieuse, je ne peux pas faire dans la demi-mesure...L'égalité des chances n'existera jamais, c'est une douce utopie alors face à la misère, c'est un fantasme que seuls les igonorants peuvent avoir.
Alors s'il te plait, au terme de 4 ans de mon silence furieux, Augustin, tais toi et retournes au cinéma...Je sais pas si tu seras meilleur mais tes dégats ne seront que fictifs...
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