Quand NKM humilie un journaliste qui la traite de "bobo", elle dévoile son vrai visage
NKM s'est fâchée dans l'émission de France 2, "Les 4 Vérités", parce qu'un journaliste lui a demandé si elle n'avait pas une image bobo. Au-delà de l'anecdote, ce vif échange ne montre-t-il pas une élite politique et médiatique coupée des réalités françaises ? décryptage de notre chroniqueur Bruno Roger-Petit.
Nathalie Kosciusko-Morizet n'aime pas que l'on dise d'elle qu'elle est une "bobo". Elle déteste, même, et qui se hasarde à l'affubler de ce qualificatif risque gros, très gros, et pire encore s'il est un journaliste de télévision de France 2. Le site Le Lab a vu comme nous la même séquence, qui s'est déroulée dans l'émission "les 4 Vérités" de Télématin, et qui paraît promise à un bel avenir sur la toile électronique. Pour tout dire, cette scène mérite plus qu'un buzz, tant elle est la marque de son époque, des débats du moment, et des confusions de l'époque.
Une question = deux attaques
Donc, Gilles Bornstein, interrogeant NKM sur ses chances de pouvoir conquérir la présidence de l'UMP, ose aborder la question de l'image de l'ancienne porte-parole de la campagne présidentielle Sarkozy et le fait en ces termes : "Vous avez une image de grande bourgeoise, un peu distanciée, bobo écolo... Est-ce que tout cela est très compatible avec les aspirations du militant UMP qui va voter ?"
La réponse de NKM sera terrible, et pour cause, car en une question Gilles Bornstein a concentré toutes les attaques possibles sur l'image de la ministre. Il a même pris au passage le risque de la plus grande confusion intellectuelle, amalgamant allégrement toutes les formes, passées et présentes, traditionnelles et contemporaines des incarnations de la bourgeoisie française.
La bourgeoise, à l'opposé du bobo écolo
Qu'y a-t-il de commun entre une "grande bourgeoise" et une "bobo écolo" ? Rien, en vérité. La "grande bourgeoise" évoquée par le journaliste renvoie à la définition établie par Marc Bloch dans "l’Étrange Défaite" – déjà citée souvent par nos soins sur le Plus (1) – et elle est en tous points antagoniste avec la définition du bobo telle qu'elle s'est imposée au début des années 2000, et qui tente d'établir une typologie s'appliquant à une catégorie de résidents urbains aisés, libéraux de mœurs et politiquement de gauche, écolos d'occasion.
Au fil du temps, le "bobo", surtout le "bobo écolo" ou "bobo Cécile Duflot", constante cible du FN, puis de la droite, est devenu l'ennemi numéro un de toute la droite française, incarnation du mal absolu venu de la gauche, et qu'il faut abattre par tous les moyens.
Qui a dit que la lutte des classes n'existait plus ?
Autrement dit, la bourgeoisie traditionnelle (donc "une grande bourgeoise" issue de ses rangs) ne peut que haïr le "bobo", comme elle haïssait autrefois le "parvenu" ou le "rastaquouère", celui qui n'est pas de chez elle et prétend vivre chez elle, comme elle.
La vraie nature de NKM dévoilée
Gilles Bornstein, en amalgamant bourgeoisie traditionnelle et bourgeoisie bohême, dans le but de piquer au vif NKM, énonce une contradiction majeure, une erreur politique comme en commettent ceux qui n'ont pas assez lu Bloch, Blum et Bourdieu. Mais, et c'est là que l'épisode se révèle passionnant et instructif, c'est que cette erreur, qui suscite aussitôt la fureur concentrée de l'ancienne ministre sarkozyste, permet de dévoiler la nature profonde de classe de cette dernière et sa relation à la France d'aujourd'hui qui en découle.
NKM répond au journaliste de France 2 en ces termes :
"Je pourrais vous parler de votre image, on aurait des débats intéressants sur le sujet. Moi vous savez, je suis maire d’une ville populaire, 22.000 habitants, Longjumeau, la grande couronne... Quand vous voulez, on va prendre un café, vous me direz en revenant si avec mes plus de 30% de logements sociaux, mes quinze cafés, ma vie diurne et nocturne, chaleureuse, populaire et parfois compliquée, vous trouvez que c’est… comment vous dites ? Bobo ?! Souvent, ceux qui disent ça et qui jettent ces anathèmes vivent en plein cœur de Paris et n’ont jamais mis les pieds dans une banlieue comme la mienne !"
NKM discrédite son interlocuteur en trois temps.
Discrédit en trois temps
1. D'abord, elle prend soin de s'en prendre à lui personnellement, menace voilée à l'appui. "Je pourrais vous parler de votre image" signifie "je peux te réduire quand je veux". C'est le procédé classique employé par ceux qui entendent signaler au journaliste qu'il ne doit plus en rajouter une fois que la réponse sera apportée. L'interview est (aussi) un sport de combat.
2. Ensuite, elle décrit la ville dont elle est le maire, en la présentant comme une petite ville française de banlieue ordinaire : les cafés, les logements sociaux, la vie diurne et nocturne, chaleureuse et populaire, présentant ce paysage comme dénué de tout "boboïsme". En procédant ainsi, elle signifie qu'un "bobo" ne pourrait être élu par un petit peuple qui ne l'est pas. Le vote populaire n'est pas "bobo" aux yeux de NKM, étrange inéquation.
3. Enfin, elle conclut en disant que se faire traiter de "bobo" relève de "l'anathème", rien que ça, et achève sa démonstration en renvoyant ceux qui l'accusent de cet horrible crime à leur dimension parisienne, voire parisianiste, parce qu'ils vivent en plein cœur de Paris, et qu'ils n'ont, bien évidemment, jamais mis les pieds dans une banlieue comme Longjumeau. La riposte de NKM vaut aussi pour le journaliste qui vient de participer au lancement de l'anathème et qui n'a pas envie, compte tenu de la sévérité de la réponse, qu'elle se lance dans un débat sur son image.
Grande bourgeoise assumée ?
On note que ce qui déclenche la fureur de NKM, ce n'est pas d'être affublée de l'étiquette de "grande bourgeoise", c'est d'être traitée de "bobo". Elle ne répond qu'à cette partie-là de l’interpellation du journaliste, dévoilant ainsi, implicitement un habitus de... "grande bourgeoise". Et cette impression est encore plus renforcée lorsqu'elle lance au journaliste son invitation à venir visiter Longjumeau en sa compagnie. Cela vous a un petit côté : "Venez donc voir mes gens et mes paysans, je suis proche d'eux", qui n'est pas sans évoquer la classe supérieure de l'Ancien régime, celle dont les mœurs furent adoptées lors son alliance avec la bourgeoisie industrielle lui succédant en tant que classe dominante au 19e siècle.
La définition donnée par NKM de Longjumeau, ville anti-bobo, est aussi riche d'enseignements. NKM ne parle pas usines, ateliers, zones industrielles, barres d'HLM, immigration de première et deuxième génération, chômage, précarité, problèmes scolaires, délinquance, incivilités. Elle évoque les quinze cafés, les logements sociaux présents mais pas trop, la vie diurne, nocturne (Longjumeau by night) une vie "populaire, mais parfois compliquée"...
Bref, NKM ne dépeint pas une ville de Seine-Saint-Denis confrontée à la rudesse de la crise, comme Aulnay-sous-Bois, victime de PSA, mais bel et bien une ville moyenne authentiquement française de la grande couronne, département de l'Essonne, une petite ville bourgeoise en somme, pas "bobo", mais petite bourgeoise, avec des ouvriers, mais juste ce qu'il faut pour que ça ne dérange pas.
On peut ainsi mesurer l'idée de la banlieue et de ses problèmes tels que se les figure NKM à travers Longjumeau et en conclure que, s'il y a bien quelqu'un qui paraît coupé des réalités populaires, fantasmant une banlieue digne de "la Belle équipe", avec casquettes, Ricard au bistrot pour le petit jaune après l'usine, débats sur le Tour de France et tournée générale pour finir, c'est bien NKM elle-même.
Journalistes et politiques, dans la même galère
En résumé, un journaliste qui maîtrise maladroitement des concepts politiques et sociologiques se fait humilier par une responsable publique de premier plan, qui, elle-même, démontre ainsi qu'elle ne connaît pas plus que lui la France qui souffre et qu'elle prétend représenter.
Comme souvent à la télévision contemporaine, la confusion politique, sociale, sociologique et médiatique se double d'une confusion des concepts, des époques et des problèmes : tout cela montre une élite politique et une élite médiatique à côté de la plaque, l'une comme l'autre.
Ça va mal finir, non ?
Pour les retardataires, la définition de la bourgeoisie française de Marc Bloch :
" J'appelle donc bourgeois de chez nous un Français qui ne doit pas ses ressources au travail de ses mains ; dont les revenus, quelle qu'en soit l'origine, comme la très variable ampleur, lui permettent une aisance de moyens et lui procurent une sécurité, dans ce niveau, très supérieures aux hasardeuses possibilités du salaire ouvrier ; dont l'instruction, tantôt reçue dès l'enfance, si la famille est d'établissement ancien, tantôt acquise au cours d'une ascension sociale exceptionnelle, dépasse par sa richesse, sa tonalité ou ses prétentions, la norme de culture tout à fait commune ; qui enfin se sent ou se croit appartenir à une classe vouée à tenir dans la nation un rôle directeur et par mille détails, du costume, de la langue, de la bienséance, marque, plus ou moins instinctivement, son attachement à cette originalité du groupe et à ce prestige collectif."