1492 : un mythe européen ?

> 1492 : la prestigieuse Grenade, dernier bastion musulman en Espagne, est "reconquise". Certes, l'événement est assez important pour qu'il mérite d'être cité par les chroniqueurs. Mais peut-on vraiment dire que l''Europe chrétienne a assuré son triomphe ?

Là, les choses sont moins évidentes :

En 1453, le sultan ottoman Mehmet II s'était emparé de Constantinople, autrement plus glorieuse et surtout plus symbolique. La chrétienté tremblait devant l'avance du Turc, "la plus grande terreur de l'univers". Au début du XVe siècle, les Mongols n'avaient pas abattu les Ottomans. Une fois l'orage passé, ceux-ci consolidèrent leurs assises en Anatolie et dans les Balkans. Ils étaient venus d'Asie, mais ils étaient aussi bien implantés en Europe que les Espagnols. De la Grèce à l'Asie Mineure, ils dominaient les lieux d'où notre civilisation a tiré sa raison.

Si, à l'est, une nouvelle dynastie - les Séfévides - s'installe en Perse et résiste à leur hégémonie, les Ottomans inquiètent, au sud, les Mamelouks auxquels ils prendront la Syrie et l'Egypte en 1516 et en 1517. Les territoires arabes, où se trouvent Jérusalem, La Mecque et Médine, s'offrent à leurs ambitions. Bientôt, les Turcs s'étendront sur l'Afrique du Nord musulmane où Rome avait laissé tant de traces. Jadis cavaliers des steppes, ils sont devenus méditerranéens. Par eux et à travers eux, l'Islam retrouve un vrai souffle impérial.

Certes, Isabelle la Catholique peut, enfin, regarder l'Espagne entière. Mais vers l'orient de l'Europe, qui arrivera à bouter le Croissant Turc alors en pleine expansion ? La chrétienté, acculée sur son isthme, livre à l'Atlantique quelques chercheurs de routes maritimes, d'or, d'épices, en quêtes de terres nouvelles. Pressentirait-elle déjà son salut dans cette immense aventure ?

Aucun destin n'est arrêté. Les inventions et les découvertes européennes ne se sont pas encore imposées comme décisives. Malgré le magistère de la papauté, de multiples pouvoirs se disputent le territoire de l'Europe. Face à elle, la civilisation de l'Islam brille de toute la gloire des conquérants ottomans. La réflexion, les sciences, les arts et les métiers y nourrissent l'esprit et approvisionnent les marchés de villes plus qu'opulentes. Le voyageur Ibn Battuta et le penseur Ibn Khaldoun n'auront pas été moins grands que Marsile Ficin ou Machiavel ...