La Russie de retour sur la scène internationale(Les 4V - le 3 novembre 2015)La campagne de bombardements russes en Syrie a provoqué, dès son déclenchement, le 29 septembre dernier, de vives protestations de l’OTAN qui accuse la Russie de ne viser que le sauvetage du régime de Bachar el-Assad et non la destruction de l’État islamique.Les États-Unis sont furieux, car les frappes russes ont touché sévèrement des milices formées et soutenues par la CIA.
Quant à la France, la priorité du président français reste le renversement du régime d’Assad.
Pour sa part, le président russe considère que la priorité est d’éradiquer l’État islamique, avant de trouver une solution au problème du régime syrien.
Il est attristant de constater que les responsables européens ne pensent aucunement en termes de géopolitique et semblent avoir oublié que les relations internationales sont basées sur des rapports de force.
Il faut dénoncer l’irresponsabilité des gouvernants européens qui, depuis la fin de la guerre froide, ont complètement délaissé la défense – confiée aux États-Unis qui utilisent l’OTAN pour leurs propres intérêts géopolitiques, qui ne sont pas ceux des Européens.
Il faut aussi rappeler que la guerre froide a opposé pendant près d’un demi-siècle le bloc de l’Ouest (OTAN) à celui de l’Est (Pacte de Varsovie). Cette guerre a été perdue, sans combat, par le Pacte de Varsovie, voici un quart de siècle. Les Russes ont ainsi été conduits à dissoudre le Pacte de Varsovie et s’attendaient à ce que l’OTAN fît de même. Or, non seulement cela n’a pas été fait, mais l’OTAN s’est même étendue vers l’Est, en intégrant d’anciens satellites de la Russie. Il n’y a donc rien d’étonnant que la Russie nourrisse un désir de revanche.
Les esprits n’ont pas beaucoup changé depuis la fin de la guerre froide à l’égard de la Russie, alors que les menaces ont évolué dans un monde beaucoup plus instable et dangereux.
Il est regrettable que les responsables européens n’aient pas engagé une réflexion sur un rapprochement avec la nouvelle Russie avec laquelle existent dorénavant un certain nombre d’intérêts communs.
Mais quelle analyse peut-on faire de l’engagement russe en Syrie ?
Tout d’abord, il faut émettre un sérieux doute sur l’efficacité des opérations menées par la coalition dirigée par les États-Unis, si on s’en tient aux conquêtes territoriales continues de l’État islamique.
La responsabilité des États-Unis dans le chaos actuel est écrasante, car ils n’ont réussi qu’à instaurer et implanter le terrorisme islamique et la barbarie en détruisant notamment l’Irak et la Libye.
À l’opposé, la stratégie russe semble s’inscrire dans la conception réaliste des relations internationales basées sur les rapports de force.
Pour la Russie, il s’agit, en effet, de détruire l’État islamique qui la menace elle-même, car il recrute d’importants contingents caucasiens qui peuvent revenir la frapper. Pour la Russie, c’est un problème de
« légitime défense ».Mais, pour anéantir l’État islamique, le président russe considère qu’il faut, pour l’instant, soutenir Bachar el-Assad, qui reste un rempart contre l’islamisme. Il s’agit là d’une position claire et de bon sens.
C’est pourquoi les frappes aériennes russes depuis la fin du mois de septembre visent toutes les milices islamistes et pas seulement l’État islamique.
La France, à la remorque des États-Unis, pensait qu’en entretenant un conflit de basse intensité, cela affaiblirait l’armée syrienne et conduirait Bachar el-Assad à négocier. C’était un mauvais calcul, car nos gouvernants n’avaient pas imaginé qu’ils prolongeraient ainsi le désastre. Ils ont donc contribué cyniquement, par leur soutien aux djihadistes combattant le régime d’Assad, au lourd bilan évalué à 250 000 morts.
Le président Poutine signe, en tout cas, l’échec de la stratégie des présidents américain et français, incapables de désigner l’islamisme comme leur ennemi prioritaire.
On le constate, il devient urgent pour l’Europe de défendre ses propres intérêts, parfois éloignés de ceux des États-Unis car le monde a changé depuis la fin de la guerre froide.
Il faut bien admettre que l’Europe et la Russie peuvent avoir des intérêts communs.
Il est temps que l’Europe, sans couper le lien avec les États-Unis, envisage une nouvelle relation avec la Russie.
Antoine Martinez
Général (2S) de l’Armée de l’Air