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Premier procèsLa procédure aboutira tout de même le 4 juillet. Sept généraux sont invités à siéger pour juger le premier
résistant de France ! La convocation précise même, dans la grande tradition des « conseils de guerre » : tenue
de campagne et casque ! Prétention dérisoire et même grotesque dans la situation de l’époque !
De Gaulle est inculpé de « refus d’obéissance » et de « provocation de militaires à la désobéissance » en raison de ses appels radiodiffusés.
Le tribunal militaire de la XVIIe Région de Toulouse condamne le rebelle à quatre ans d’emprisonnement (le
temps qu’il aura fallu au « contumax » pour libérer la Patrie !) et à 100 francs d’amende. Le jugement de
condamnation, s’il reste laconique, ne manque pas d’être élogieux sur ses états de service. On peut croire que
les officiers généraux ont eu beaucoup de mal à condamner « le rebelle » que, sans doute, ils admirent
secrètement et une entreprise que leur coeur de soldat ne peut spontanément réprouver. Mais, sans doute,
pensent-ils que le condamné risque peu de subir un jour sa peine. Soit il aura disparu durant la guerre, soit il
rentrera en France en vainqueur.
Comme on pouvait s’y attendre, les autorités de Vichy considèrent que les juges ont fait preuve « d’une
coupable indulgence » et ne vont pas s’en tenir là, d’autant que,
seule une condamnation à mort pourra satisfaire
Hitler.Second procèsLe commissaire du gouvernement se pourvoit aussitôt en cassation, mais le pourvoi est rejeté. De nouveaux
chefs d’accusation sont donc trouvés pour permettre de condamner de Gaulle à la peine capitale. Cette fois, c’est
le tribunal militaire de Clermont-Ferrand (XIIIe région, placée sous le commandement du général de Lattre de
Tassigny !) qui est chargé de juger et de condamner l’exilé – entretemps déchu de la nationalité française.
Etrange coïncidence, ce tribunal est présidé par le général Frère, celui-là même qui commandait la VIIe armée
en mai 40 et qui avait cité Charles de Gaulle le 30 mai, à l’ordre de l’armée, avec attribution de la croix de guerre
avec palme. Il est évident que le général Frère voue à son ancien subordonné une grande estime. Rallié à la
Résistance, fondateur en 1943 de l’ORA (Organisation de Résistance de l’Armée), arrêté en juin de la même
année, il est déporté au Struthof où il mourra l’année suivante après avoir chargé un de ses compagnons de
captivité de révéler au général de Gaulle qu’il avait été l’un des deux juges à s’être opposé à la condamnation.
Des sept généraux chargés de juger de Gaulle sur le nouveau dossier, outre le général Frère, un autre a très
bien connu et apprécié l’inculpé, il s’agit du général de La Porte du Theil qui commandait la division à laquelle
était rattaché le 507e régiment du colonel de Gaulle à Metz et qui avait noté à son sujet à la veille de la guerre :
« doit être porté au premier plan » … L’y voici ! Pour le meilleur et pour le pire !
Le 2 août 1940, le jugement le reconnaît coupable d’avoir « entretenu des intelligences avec une
puissance étrangère, en l’espèce l’Angleterre », « provoqué des militaires et des marins à passer au
service d’une puissance étrangère », « exposé des Français à subir des représailles, notamment en
prononçant des allocutions radiodiffusées de nature à persuader les ennemis que les clauses de
l’armistice n’étaient pas ou ne seraient pas observées », déserté à l’étranger en temps de guerre sur un
territoire en état de guerre et de siège ».
Avec le recul du temps, on a beaucoup de mal à imaginer des événements aussi surréalistes !En revanche, les juges de Clermont-Ferrand se refusent à retenir contre de Gaulle l’imputation de « trahison ».
Une majorité de 5 voix sur 7 s’est donc trouvée pour confondre « la France » avec ce régime de servitude institué
sous la pression de l’ennemi, et « le service d’une puissance étrangère » avec le service, national sous le
drapeau à croix de Lorraine, entièrement consacré à délivrer la Patrie de ses chaînes.
La réponse affirmative aux cinq autres questions suffit pour justifier la sentence :
Charles de Gaulle est
condamné à la peine capitale, à la confiscation de tous ses biens et à la dégradation militaire.C’est ainsi qu’au Journal officiel, il est fait mention de : M. de Gaulle. Jugement par contumace que le
maréchal Pétain ratifiera, non sans indiquer qu’il veillera à ce que la peine de mort ne soit pas exécutoire. Il ne
faudrait toutefois pas croire que le régime de Vichy considérait la condamnation comme de pure forme.
En
dehors du vieux maréchal, d’autres (Laval, Darlan, par exemple) n’auraient pas hésité à faire fusiller de Gaulle si
l’occasion leur en avait été donnée. Tout porte à croire que la sentence de mort aurait été exécutée s’il était
rentré en France autrement qu’en Libérateur !L’exilé fit savoir qu’il tenait le jugement pour « nul et non avenu » et qu’il s’en expliquerait « après la guerre
avec les gens de Vichy ».Cependant, dans la quasi-solitude de Londres, on peut imaginer la tristesse de cet homme blessé par tant
d’infamies.
Puisque dans l’immédiat, les autorités ne pouvaient rien sur sa vie, ils prirent toutes les mesures pour que tous
les biens du condamné fussent effectivement saisis. La propriété de la Boisserie à Colombey fut naturellement
confisquée et mise comme telle à la disposition de l’occupant.
Heureusement, la propriété ne fut jamais vendue faute d’acquéreur, tandis que la plupart des meubles de
famille furent mis en lieu sûr par des voisins ou des sympathisants.
Annulation des deux jugements
Après la Libération, la Cour d’appel de Riom va évidemment annuler les effets de toutes ces dispositions, en
même temps que le jugement même du tribunal militaire de la XIIIe Région. La Cour d’appel de Toulouse rendra
un arrêt analogue, annulant le jugement du tribunal militaire de la XVIIe Région …
De Gaulle, général ou colonel ?C’est la question que certains antigaullistes
(il y en a encore malheureusement !) n’hésitent pas à soulever soit
par ignorance ou plus sûrement par malveillance. Il faut vraiment être de mauvaise foi de nos jours pour douter
une seconde que Charles de Gaulle n’a jamais cessé d’être le « général de Gaulle » ! Il suffit de se rappeler la
réponse faite à Georges Bidault, président du Conseil National de la Résistance (CNR), le 25 août 1945 à l’hôtel
de Ville de Paris qui le pressait de « proclamer la République ». De Gaulle avait répondu sèchement que la
République n’avait jamais cessé d’exister et que Vichy était « nul et non avenu ». Une expression, du reste,
familière au Général.
Philippe Pétain, condamné à mort !Celui qui avait voulu que son ancien protégé fasse l’objet d’une condamnation exemplaire va, à son tour, subir
les lois de la justice. Contrairement au souhait du président du gouvernement provisoire, Philippe Pétain, qui est
alors réfugié en Suisse, demande à rentrer en France pour y être jugé. Son procès commence le 23 juillet 1945, à
Paris, devant la Haute Cour de justice.
Le 15 août, le verdict tombe : il est reconnu coupable d’intelligence avec l’ennemi et de haute trahison. Il est
condamné à la peine de mort, à l’indignité nationale et à la confiscation de ses biens. Il est radié de l’Académie
française. Le vieux maréchal a 89 ans !
Mais la sentence ne sera jamais exécutée, le général de Gaulle a aussitôt commué la sentence de mort en
réclusion à perpétuité et lui a laissé sa dignité de maréchal de France.
Pétain meurt à l’île d’Yeu où il est interné, six ans plus tard, le 24 juillet 1951.
De Gaulle démissionneAprès le règlement de sa situation judiciaire, se pose, après sa démission, le problème de sa situation
administrative.
Le 20 janvier 1946, de Gaulle, en désaccord avec les partis politiques qui recommencent leurs jeux stériles
comme si rien ne s’était passé, quitte le pouvoir, de son plein gré, en refusant toute retraite.Aux yeux du nouveau gouvernement qui succède à celui de Charles de Gaulle, la situation administrative du
« Libérateur de la Patrie » est particulièrement singulière. Quelle place doit-on lui attribuer dans l’Armée. Le
président du Conseil, Félix Gouin, la souhaite naturellement la plus élevée. Peut-être maréchal de France ?
Comment le traiter matériellement ? Que souhaite le Général ? C’est bien mal connaître l’intéressé. Et c’est le
brave Edmond Michelet, le ministre des armées et … « son ministre de tutelle ! », lui, le résistant, rescapé du
camp de Dachau, le plus aimant et le plus fidèle parmi les fidèles, qui est chargé de cette difficile et périlleuse
mission.
Le 8 avril 1946, le ministre, d’une plume bégayante et maladroite, se rendant bien compte de l’incongruité de
la démarche, écrit à son ancien chef. Le malheureux s’est aventuré sur un terrain glissant. Il va lui en cuire
Quatre jours plus tard, il reçoit, en treize lignes, une mise au point des plus cinglantes dont l’auteur s’était fort
peu soucié d’épargner ou de ménager un ami fidèle. Mais pour de Gaulle, il s’agissait de sa gloire, donc de celle
de la France. Sur la route des éléphants, il importe aux petits hommes de ne pas trop se hasarder.
Réponse du général de Gaulle
« Mon cher Ministre,
Je réponds à votre lettre du.
Depuis le 18 juin – date du jour où je suis sorti du cadre légal pour entrer dans une voie assez
exceptionnelle – les événements qui se sont déroulés ont été d’une telle nature et d’une telle dimension
qu’il serait impossible de « régulariser » une situation absolument sans précédent.
A cette situation, il n’a, d’ailleurs, été nullement besoin de changer quoi que ce soit pendant les cinq
ans, sept mois et trois jours d’une très grande épreuve. Toute « solution administrative » qu’on tenterait
d’y appliquer aujourd’hui prendrait donc un caractère étrange, et même ridicule.
La seule mesure qui soit à l’échelle est de laisser les choses en état. La mort se chargera, un jour,
d’aplanir la difficulté, si tant est qu’il y en ait une.
Veuillez croire, mon cher Michelet, à mes sentiments les meilleurs. »
Mais, au fond, que pensait réellement le Général ?
Le témoignage de son aide de camp de l’époque, le capitaine Claude Guy, est particulièrement intéressant.
C’est au cours d’un déjeuner à Marly où le Général réside en attendant la fin des travaux à la Boisserie, qu’il
montre et commente à son aide de camp cette émouvante et orgueilleuse réponse qu’il vient d’adresser au
ministre des Armées.
« La démarche de Michelet, qui a été provoquée par le père Gouin, cache, de la part du gouvernement,
des intentions qui ne sont pas toujours les mêmes selon le parti que chacun y cherche, ou auquel il
appartient. J’y vois, tout d’abord, la volonté de me placer dans un cadre, pour me « tenir », le cas
échéant. Il y a, pour les ministres d’extrême gauche, le désir de me diminuer en faisant de moi, en cas
d’acceptation, un homme comme les autres. Enfin, de la part des plus intègres et des plus sincères, cette
démarche révèle une incroyable incapacité à saisir l’échelon où se placèrent ma personne et mes actes.
Ils ne peuvent, quoi qu’ils fassent, se hisser à mon niveau, car le grandiose ne pénètre jamais dans leur
esprit. Oui, ils ne peuvent percevoir le caractère absolument unique et exceptionnel de ce qui a été
l’odyssée de 1940 à la Libération, dont il n’est aucun précédent dans l’Histoire. Précédent d’une voix
anonyme, qui devint peu à peu la France, par une simple décision de ma volonté
. Pauvres bougres ! J’ai
recréé la France à partir de rien, à partir de cet homme seul dans une ville étrangère … Je ne suis pas un
général vainqueur. On ne décore pas la France. »Tout est dit ! De Gaulle est entré dans l’Histoire avec seulement deux étoiles de général de brigade ; tout
changement n’aurait pas manqué de porter atteinte à la statue du Commandeur !