La fuite en avant dans la compétitivité internationale obéit à une logique d’autodestruction. Aucun gouvernement ne la contrôle, puisque tous ont adopté le principe de l’abolition des obstacles tarifaires. Une multinationale installée dans un paradis fiscal où les salariés sont payés au lance-pierre peut ruiner tous ses concurrents, dans un pays quelconque, au moyen de la guerre des prix, en s’emparant de leur part de marché.
Il faut bien voir que cette fuite en avant est nourrie, amplifiée et accélérée par la paupérisation croissante de la clientèle de masse. La paupérisation de la population est un problème fondamental qui entraîne continuellement des cascades de problèmes secondaires, dans une logique de chaos grandissant. Plus les gens se paupérisent et plus ils sont contraints d’acheter le produit le moins cher plutôt que celui dont la qualité est la meilleure. Plus ils se paupérisent et plus ils sont contraints d’aller au supermarché au lieu d’acheter à l’épicier du coin.
A contrario, si le pouvoir d’achat de chacun s’améliore, les clients pourront modifier leurs habitudes d’achat, en retournant chez le petit commerçant du coin, en se remettant à fréquenter les restaurants, les théâtres, les libraires, etc... Un client aisé peut se permettre de choisir un produit de qualité plutôt que le produit le moins cher. Plus le niveau de vie de la population s’améliore et plus la concurrence doit porter sur la qualité plutôt que sur les bas prix. La logique concurrentielle s’inverse alors dans l’intérêt général.
Il faut également bien voir la cause fondamentale de cette logique de paupérisation. Ce qui pose problème, c’est qu’actuellement le revenu individuel est lié à l’emploi, soit directement, à travers le salaire, soit indirectement, à travers les cotisations sociales. Si tous les emplois en arrivaient à disparaître, les individus n’auraient plus aucune source de revenu.
L’idée de la taxe sociale vise à financer un revenu individuel qui ne dépende plus du tout du fait qu’il existe ou non des emplois. Et elle est conçue en sorte que, par des relations de cause à effet, ce revenu individuel augmente automatiquement et continuellement. Le projet de taxe sociale assure l’auto-financement du progrès social, malgré les disparitions d’emplois consécutives à l’informatisation et à la robotisation ou à la faillite des entreprises.
En résumé, il s’agit de taxer les versements, paiements et virements, puis de distribuer le produit de la taxe à la population, sans condition ni discrimination. En dépensant ce supplément de pouvoir d’achat, chacun contribue à l’intensification des mouvements financiers et donc à l’amélioration du produit de la taxe, par « effet boule de neige ». Le phénomène se nourrit de lui-même, par une logique de relations de cause à effet, si bien que le revenu individuel augmente automatiquement et continuellement. Autrement dit, le progrès social se finance lui-même, au lieu d’exiger un accroissement continuel des impôts au préjudice des contribuables.
Potentiellement, la taxe sociale permet d’éradiquer définitivement la pauvreté, que ce soit à l’échelle locale ou à l’échelle planétaire. Ne pas confondre l’idée de taxe sociale avec la "taxe Tobin". Cette dernière ne vise que certains mouvements financiers -principalement les transactions sur le marché des changes- et n’a pas du tout été conçue pour améliorer le pouvoir d’achat de la population.
Les conséquences socio-économiques de l’introduction de la taxe sociale inversent complètement la logique de fuite en avant actuelle. Le pouvoir d’achat des individus ne provient plus des salaires ou des cotisations sociales payées par les entreprises. Il provient de la taxation des articles qu’elles vendent. Si une multinationale installée dans un paradis fiscal veut bénéficier du pouvoir d’achat de la clientèle d’un autre pays, il faut bien qu’elle y exporte ses produits et les soumette à la perception d’une taxe sociale. Si cette multinationale s’y refuse, une concurrente en profitera pour s’emparer de cette part de marché. C’est pourquoi le fait de délocaliser la production ne permet pas de se soustraire à une taxe sociale comme on se soustrait aux impôts ou à des salaires décents. En quelque sorte, il faudra payer les clients pour accéder à leur pouvoir d’achat.
Grâce au principe de la taxe sociale, le chômage cesse d’être un problème socio-économique. Qu’il ait ou non un emploi, chacun est assuré d’un revenu en constante augmentation. Au lieu d’être au chômage, les individus seront en liberté. Ils seront libres de se consacrer à ce qui les passionne : recherche scientifique, arts, création d’entreprises, etc... On peut s’attendre à une explosion de créativité.
Le projet de taxe sociale est conçu pour fonctionner aussi bien à l’échelle locale qu’à l’échelle planétaire, si bien que son adoption ne dépend pas d’un accord international préalable, contrairement à ce qui est le cas avec la Taxe Tobin. Si la taxe sociale peut fonctionner localement aussi bien qu’à l’échelle planétaire, c’est précisément parce qu’elle porte sur les produits vendus localement. Si on instaure la taxe sociale dans un département français, il deviendra impossible de vendre quoi que ce soit aux clients de ce département sans se soumettre à la taxe sociale. Quelle est l’entreprise qui voudrait renoncer à cette part de marché alors que tous ses concurrents profiteraient aussitôt de l’aubaine ?
Supposons qu’une industrie basée en France, pour faire face à la concurrence, s’informatise et se robotise à outrance, au point de ne compter plus aucun salarié ou presque. Si cette industrie veut vendre ses produits en France, elle devra se soumettre à la taxe sociale, et donc contribuer au pouvoir d’achat de la clientèle de masse. Celui qui vend le plus -multinationale, géant agroalimentaire, supermarché- contribue le plus, tandis que les petits commerces voient revenir une clientèle de moins en moins regardante à la dépense.
Examinons le cas d’une banque. Tout comme la multinationale, la banque peut renoncer à ses opérations locales, dans le but de se soustraire à la taxe sociale, mais elle abandonne alors sa part de marché à une banque concurrente qui acceptera de soumettre ses opérations à la taxe sociale. Là encore, le chantage aux délocalisations devient inopérant.
Actuellement, les richesses produites par l’économie réelle sont siphonnées par la spéculation, au lieu d’être distribuées à la clientèle de masse de l’économie locale. Pour conserver les capitaux d’un spéculateur, l’entreprise doit lui offrir un dividende plus élevé que les entreprises concurrentes. L’argent qui aurait dû être distribué en salaires, en augmentations de salaires, ou en cotisations sociales patronales, est « économisé » par l’entreprise, au moyen des suppressions d’emplois et du dumping salarial, pour aboutir dans la poche des actionnaires. La paupérisation du plus grand nombre subventionne ainsi l’enrichissement démesuré d’une infime minorité de spéculateurs. C’est pourquoi les licenciements massifs font grimper les cours des actions. Le commerce local est donc privé du chiffre d’affaires correspondant au dividende empoché par les spéculateurs. Quant aux finances publiques, elles subissent à la fois une hausse des dépenses sociales consécutives aux licenciements et à la paupérisation des salariés eux-mêmes, tandis que les recettes fiscales diminuent à cause de la baisse du chiffre d’affaires du commerce local. C’est cette spoliation du plus grand nombre au profit d’une infime minorité qui nous est présentée comme une réjouissante « croissance économique ». Ce phénomène sera inversé par la taxation sociale des mouvements financiers et par la distribution du revenu à la population.
Il est bien évident que, dès l’instant où un individu bénéficie d’une augmentation de pouvoir d’achat, il dépense ce supplément, et il le dépense d’autant plus vite que son revenu était plus modeste. Chacun veut s’offrir ce dont il a été privé : appareils électroménagers, cinéma, restaurant, loisirs, etc... Les clients auront égoïstement intérêt à dépenser leur revenu dans la zone taxée, au profit de l’économie locale, s’ils veulent contribuer à l’intensification des mouvements financiers, c’est-à-dire à l’amélioration du produit de la taxe, et accroître ainsi leur revenu. En fait, le client s’enrichit proportionnellement à ce qu’il dépense dans la zone taxée, pour l’économie locale. Il devient contre-productif d’aller effectuer des achats hors de la zone taxée. Le chiffre d’affaires des entreprises locales s’améliore aussitôt. Elles passent des commandes à leurs fournisseurs. C’est « l’effet boule de neige ». On obtient une authentique reprise économique. Une reprise saine, durable, qui se nourrit automatiquement d’elle-même, et non une pseudo « croissance économique » ne concernant que les bénéfices des spéculateurs.
Tout ordre de mouvement financier -paiement, versement, virement d’un compte bancaire à un autre- émanant de la zone taxée (par exemple, un canton suisse, un département français ou un pays entier) sera assimilé à un mouvement financier et taxé sur la base de son montant. N’importe quelle vente -même un bonbon- sera taxée, au minimum 5 centimes. Il s’agit donc de taxer également l’économie réelle ; pas seulement la spéculation. Ainsi, le principe de fonctionnement de la taxe sociale n’est pas dépendant de l’existence ou non de capitaux spéculatifs, contrairement à ce qui est le cas avec la Taxe Tobin. La fuite de ces capitaux diminuerait temporairement l’ampleur du produit de la taxe sociale, mais sans empêcher pour autant le principe de fonctionner. On peut imaginer un système très simple dans lequel la taxe sociale est perçue à la source -exactement comme un courtage bancaire ou une TVA-, versée sur un compte commun de l’Etat, d’où la part de chacun est automatiquement distribuée par chèque -mensuel, ou bi-mensuel- à tous les habitants.
La taxe sociale ne pénalise pas l’authentique investisseur. En effet, celui-ci ne passe pas ton temps à acheter et revendre des titres. Il place son argent durablement dans une entreprise dont il conserve les titres. Aussi longtemps qu’il ne revend pas ses titres, ceux-ci ne sont pas soumis à la taxe sociale. Seul le paiement du dividende est alors taxé. Comme la taxe sociale entraîne une augmentation de la consommation, et donc du chiffre d’affaires des entreprises, l’authentique investisseur bénéficie de l’amélioration de l’activité économique locale, conformément à la logique de l’intérêt général.
Les mouvements financiers -paiements, versements, virements-, dans le canton de Genève, sont estimés entre 400 millions et 1 milliard de francs suisses par jour. Si on prend, pour base de calcul, l’hypothèse de 400 millions de francs suisses, par jour, de mouvements financiers dans le canton de Genève, une taxe de 1 % rapporterait, au minimum, 4 millions par jour et donc 1,46 milliard par an. Si on divise cette somme par 400000 habitants, on obtient 3650.- CHF par an et par personne, bébés compris, ce qui représente déjà une amélioration de pouvoir d’achat appréciable et permet de financer une politique d’aide aux familles digne de ce nom. Une taxe de 2 % ajouterait ainsi, au bas mot, 7000.- CHF par an au pouvoir d’achat de chacun. Si on prend, pour base de calcul, l’hypothèse de 1 milliard de francs suisses, par jour, de mouvements financiers dans le canton de Genève, avec une taxe de 1 %, on obtient la somme de 9125.- CHF par an et par personne de supplément de pouvoir d’achat, tandis qu’une taxe de 2 % ajouterait plus de 18000.- CHF par an au pouvoir d’achat de chacun. Grâce à l’effet boule de neige, ce revenu individuel ne cessera ensuite d’augmenter.
Il est très facile de déterminer qui serait « perdant » dans l’affaire. Par exemple, si une taxe de 1 % rapporte 3650.- CHF par an et par personne, il faut disposer d’un revenu annuel supérieur à cent fois 3650.- CHF par an pour commencer à subir une perte. A mesure que les mouvements financiers s’intensifient et que la part de chacun s’accroît, le seuil s’élève. Ainsi, par exemple, si la part de chacun est de 9125.- CHF par an, il faut jouir d’un revenu annuel supérieur à 912500.- CHF pour commencer à perdre dans l’affaire.
Dans l’hypothèse où le principe d’une taxation des mouvements financiers destinée à assurer une politique de justice sociale est admis, on peut prédire que ses partisans se diviseront en deux camps. D’un côté, il y aura ceux qui voudront répartir le produit de la taxe entre tous les habitants, sans aucune espèce de discrimination. Appelons-les les partisans du « système de l’arrosoir ». Qu’il soit pauvre ou fortuné, chacun recevrait la même somme. D’un autre côté, il y aura ceux qui ne voudront distribuer l’argent qu’aux personnes dont le revenu est inférieur à un montant fixé plus ou moins arbitrairement. Appelons-les les partisans d’une discrimination.
Tous les habitants de la zone taxée doivent recevoir leur part de taxe sociale, sans condition ni discrimination, qu’ils disposent ou non d’un autre revenu. La raison d’être de la taxe sociale est d’assurer à chacun, non pas un revenu minimum, mais un revenu en constante augmentation. Ce revenu individuel est considéré comme un droit inaliénable, au même titre que le droit de respirer. Il s’agit d’éradiquer définitivement la pauvreté, malgré la disparition des emplois. Il faut que le revenu provenant de la taxe soit un supplément pour le salarié. Lorsque ce revenu sera devenu suffisamment important, les salariés cesseront de redouter le chômage et ne se trouveront plus contraints d’accepter n’importe quoi de la part de leurs employeurs. La nécessité d’effectuer des heures supplémentaires -ou d’occuper plusieurs emplois- pour parvenir à payer ses factures, disparaîtra, ce qui induira un phénomène de partage du travail entre les actifs et les chômeurs.
En théorie, il est vrai qu’une discrimination dans la répartition du produit de la taxe sociale permettrait d’accroître la part des plus défavorisés. On peut soutenir que « les privilégiés » n’ont pas besoin de ce supplément de pouvoir d’achat. On peut également soutenir qu’une discrimination entre « les vrais nécessiteux » et les privilégiés est « plus juste » d’un point de vue moral. Néanmoins, ce raisonnement est superficiel. En effet, une discrimination implique que le revenu de chacun soit surveillé par l’Etat. Toute augmentation de salaire, de loyer, de facture d’électricité, devrait être signalée afin de déterminer si la personne concernée n’a plus droit ou, au contraire, a de nouveau droit au produit de la taxe. Ces contrôles impliquent toute une administration, extrêmement coûteuse -sans doute beaucoup plus coûteuse que les sommes qu’on voudrait « économiser » au préjudice des « privilégiés ». N’oublions pas que « les privilégiés » du système actuel ne représentent qu’une infime minorité de la population. C’est donc une infime proportion du produit de la taxe qui aboutirait dans leur poche. La « perte », pour « les vrais nécessiteux », demeurera négligeable. De plus, la part des « privilégiés » contribuera à l’intensification des mouvements financiers, améliorant le produit de la taxe et donc la part des « vrais nécessiteux ». Un raisonnement mesquin est clairement contre-productif. L’avantage principal du « système de l’arrosoir » est que tout le monde, sans exception, se retrouve gagnant. Ainsi, d’un point de vue politique, le « système de l’arrosoir » présente un avantage décisif.
Pour conclure, mentionnons cette évidence : le supplément de pouvoir d’achat obtenu grâce à la taxe sociale ne doit pas être soumis à l’impôt, puisque cela équivaudrait à reprendre d’une main ce qu’on donne de l’autre.
Frank BRUNNER