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La perte du AAA français: l'arbre qui cache la forêt
Par Pierre-Yves Dugua le 14 janvier 2012 17h42 | Lien permanent | Commentaires (2)
Il y a longtemps que tout le monde sait que le crédit de la France n'est pas aussi bon que celui de l'Allemagne. Standard & Poor's a enfoncé vendredi soir une porte ouverte. Ce qui me choque dans la perte du AAA français est ailleurs.
1) La France est désormais sous perspective négative
Combien de temps la France sera-t-elle AA+ ?
Le prochain Président français, qu'il s'agisse de Nicolas Sarkozy ou d'un(e) autre, aura une marge très réduite. Promettre d'embaucher des fonctionnaires dans le contexte budgétaire actuel est délirant. Promettre le protectionnisme pour sauver la France est encore pire.
La dégradation de la France est le début d'un processus, pas son aboutissement.
2) C'est la dégradation de toute l'élite politique européenne
Les dégradations de deux crans de l'Italie, de l'Espagne et du Portugal soulignent ce que les marchés privés de capitaux hurlent depuis des mois: la stratégie européenne pour bloquer la contagion de la crise grecque est un échec. Loin d'arrêter la contagion, elle a accéléré la propagation du mal. On continue de faire porter aux pays relativement moins fiscalement irresponsables le poids de décennies de laxisme pratiqué à Athènes, Rome et ailleurs. Pour autant ces pays n'ont pas de perspectives d'augmentation de leur compétitivité.
C'est aussi le bilan de la BCE qui est maintenant encore plus contanimé: les milliards de dollars de titres d'État émis par l'Italie et l'Espagne et rachetés ces dernies mois par la BCE sont désormais dégradés.
Les mécanismes en cours d'élaboration pour financer cette "solidarité" des pays AAA de la zone euro envers les pays dégradés, seront encore moins crédibles. Il y a de moins en moins de pays vertueux pour sauver de plus en plus de pays non vertueux à l'avenir bouché.
3) Le sommet du 9 décembre n'a pas apporté les réponses attendues
Les marchés ne croient pas que l'Allemagne et la Hollande pourront dicter à un nouveau Président français issu des urnes les limites de sa politique de relance. On ne voit pas quelles sanctions, dans quels délais et avec quels effets crédibles, pourront empêcher un pays souverain de repousser encore de plusieurs années ses promesses de retour dans les normes de Maastricht.
Le fait que le candidat le plus populaire aujourd'hui en France refuse "la règle d'or"
alarme Berlin. Pourquoi cela n'alarmerait-il pas Standard & Poor's et Wall Street ?
On ne voit toujours pas la création d'un ministère unique des finances au sein de la zone euro. On ne voit pas de système fiscal fédéral au sein de cette zone. On ne croit pas que la zone euro puisse avant de longues années devenir les États-Unis d'Europe. Or sans cette
fédération fiscale, il n'y aura jamais de transferts automatiques de richesses d'un pays à l'autre, comme il y en a entre le Texas vertueux et la Californie laxiste par exemple dans le cadre d'un système fédéral de gouvernement et de taxation.
4) La Grèce paraît perdue
Même si un accord est arraché aux bailleurs de fonds privés avant le 20 mars pour éviter un défaut de la Gréce, qui croit que ce pays pourra respecter ses engagements en matière de privatisation, de hausses d'impôts et de réduction de dépenses publiques ?
Le FMI a apporté sa caution à l'Union Européenne dans une série de "sauvetages" de la Grèce qui ont échoué. Le pays est menacé par l'implosion sociale et politique. La "dévaluation interne" ne marche pas. Il faut trouver une solution. Elle passe probablement par un défaut de paiement.
Contribuables français, vous ne reverrez jamais l'argent que vous avez donné à la Grèce. C'est dommage car la préservation de l'intégrité de la zone euro était une idée qui méritait des sacrifices. Mais il faut savoir reconnaître quand on se trompe.
5) La récession va empêcher de tenir les promesses budgétaires
Moins de croissance, voire une contraction de l'activité, rend impossible la tenue des promesses de réduction de déficit. L'Espagne, la France et l'Italie sont toutes à des degrés divers atteintes du même mal.
La solution passe par des politiques qui vont générer de la croissance. L'austérité en soi n'est pas le remède suffisant. Ce n'est qu'une option d'urgence.
Les gouvernants européens sont-ils formatés pour accepter que les créations d'emplois et l'investissement ne sont possibles que si les entreprises ne sont plus les vaches à lait des États ?
Pourquoi le monde de l'entreprise est-il si loin du monde des professionnels de la politique ? Si l'emploi et la croissance sont vraiment les questions prioritaires, pourquoi ne pas demander à ceux qui peuvent créer des emplois, c'est à dire les entreprises, ce qu'elles souhaitent ?
Pourquoi personne ne pose en France la question de la réduction réelle effective de certaines dépenses publiques ? Moins de dépenses inutiles ne détruirait pas des emplois, mais pourrait au contraire libérer des ressources pour le secteur privé. Même les élus américains ont du mal à accepter cela. Mais au moins ici, aux États-Unis, la question est posée. Le débat existe, faute d'être résolu.
Or en France personne n'ose engager ce débat de front. On juge ici que les européenns sont amoureux de leurs "modèles de société" où l'État pompe la moitié de la richesse publique pour la "redistribuer" en vertu de critères puissants imaginés par des premiers de la classe qui n'ont jamais travaillé dans le monde concurrentiel et savent qu'ils ne connaîtront jamais le chômage.
Ces mêmes premiers de la classe passent leur temps à Bercy à imaginer de nouveaux impôts pour combler le tonneau des Danaïdes des finances publiques.
Changer ce "modèle" relève-t-il de la "science fiction" ? Beaucoup d'américains le pensent. Cela explique leur pessimisme à l'égard du vieux continent.