Mediapart et le scandale Dassault
15 septembre 2013 | Par François Bonnet
Serge Dassault est un grand fauve de notre République. Héritier, milliardaire (fortune estimée à plus de 12 milliards d'euros), homme politique (sénateur), homme de presse (le groupe Figaro), homme d’industrie et marchand d’armes, il campe au cœur du pouvoir depuis près de trente ans, tout comme son père, Marcel (1892-1986), l’avait fait avant lui. Serge Dassault, il le sait, est une superpuissance à lui seul. Présidents et gouvernements passent, lui est toujours là, au centre de ce carrefour où s’entrecroisent politique, affaires et communication, où le conflit d’intérêts systématisé à grande échelle est le carburant du pouvoir
C’est pourquoi ce que révèle aujourd’hui Mediapart prend une dimension tout à fait exceptionnelle. Il ne s’agit nullement d’un énième épisode des bagarres électorales pour la conquête d’une des villes les plus pauvres d’Ile-de-France, Corbeil-Essonnes (43.000 habitants). Il s’agit des pratiques corruptrices d’un des personnages les plus importants du pays, et des accords qu’il a passés avec un milieu aux méthodes parfois criminelles.
Bon nombre de confrères, avant nous, avaient suggéré la gravité de ces pratiques en cours à la mairie de Corbeil. Mais à défaut de documents incontestables, et face aux dénis répétés de M. Dassault et de son entourage, ils ne pouvaient aller plus loin, laissant les citoyens de Corbeil à une sorte de trouble folklore électoral. Les extraits d'enregistrement que Mediapart a décidé de publier, considérant qu'il s'agissait là d'une information d'intérêt public décisive, constituent le chaînon manquant qui permet de donner l'ampleur réelle de cette affaire.
En 2009 déjà, le système avait failli exploser. Le conseil d’Etat décidait d’annuler l’élection, considérant que « des dépenses correspondant à des dons d'argent, dont le montant ne peut être tenu pour négligeable » avaient influé sur le scrutin… Mais cette décision se trouvait fragilisée par les rétractations de quatre témoins qui, dans un premier temps, avaient décrit le système d’achats de votes, avant de faire marche arrière fort opportunément.
Cette fois, c'est Serge Dassault qui parle. Et révèle l'ampleur du système de corruption mis en place pour acheter des voix et des soutiens politiques. 1,7 million d'euros, c'est la somme en discussion avec ce seul groupe d'interlocuteurs. Les enquêtes judiciaires en cours devront établir si d'autres groupes, tenant d'autres quartiers de la ville, étaient également du système.
Au passage, Serge Dassault reconnaît l'irrégularité de tels versements, l'utilisation de ce qui peut ressembler à une caisse noire installée au Liban (« Y a plus de Liban. Y a plus personne là-bas »), les nouvelles précautions prises (« Je suis surveillé par la police »). Et le voilà discutant pied à pied non pas avec quelques militants politiques en mal d'aides mais avec un milieu qui tient des pans entiers de la ville.
On s'était habitué – déjà à tort – au clientélisme paternaliste de Marcel Dassault, député de l'Oise jusqu'à sa mort (son petit-fils, Olivier, a pris le relais). Mais il s'agit avec Serge Dassault de tout autre chose. Obsédé par la prise de Corbeil-Essonnes, finalement arrachée aux communistes en 1995, voulant face au père se tailler lui aussi un fief électoral (il sera conseiller général, maire, député puis sénateur de l'Essonne), et l'utiliser comme un levier d'influence supplémentaire, l'industriel s'est fait hors la loi, piétinant ce principe sacré de la démocratie : la sincérité du suffrage universel.
Agé de 88 ans, Serge Dassault préside toujours le groupe familial, l'un des leaders mondiaux de l'armement et l'un des plus gros employeurs français (voir ici le détail du groupe Dassault et de ses filiales). Depuis la tribune du Sénat, il harangue avec régularité les ministres dénonçant tout à trac l'Etat, les fonctionnaires, les dépenses publiques, le laissez-aller général, les 35 heures, les tricheurs, les fraudeurs, les voyous et l'insécurité. Corbeil-Essonnes nous raconte une toute autre histoire : celle d'un homme prêt à tout acheter, quel qu'en soit le prix. Il est urgent que la justice puisse sereinement avancer et boucler ses enquêtes.
Mediapart a écrit:
Dassault : l'aveu de la corruption
15 septembre 2013 | Par Fabrice Arfi et Michaël Hajdenberg et Pascale Pascariello
Pour la première fois, l’industriel et sénateur UMP Serge Dassault reconnaît dans un enregistrement réalisé fin 2012, et dont Mediapart publie des extraits, avoir acheté la victoire de son successeur à la mairie de Corbeil-Essonnes. Une somme de 1,7 million d’euros est en jeu. Les deux hommes à l’origine de l’enregistrement se sont fait tirer dessus trois mois plus tard.
Cette fois, Serge Dassault ne pourra pas nier. L’industriel milliardaire et sénateur UMP admet dans un enregistrement clandestin réalisé fin 2012, que Mediapart a pu écouter en intégralité et dont nous diffusons des extraits, avoir payé pour s’assurer de la victoire de son successeur à la mairie de Corbeil-Essonnes, Jean-Pierre Bechter, lors de la campagne municipale de 2010.
Pour la première fois, on entend Serge Dassault admettre avoir payé, et c’est tout un système de corruption aux conséquences criminelles qui se fait jour. Durant cette conversation accablante pour le milliardaire, soupçonné par la justice d’avoir mis en place un système de corruption électorale dans sa ville, Serge Dassault dit ouvertement avoir commis des actes illégaux ...
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