Juré dans une affaire de viol, Thierry Allègre accuse la présidente de la cour d'assises d'avoir truqué le délibéré.
Un juré populaire peut-il sortir de son silence s'il estime que le délibéré ne s'est pas déroulé en bonne et due forme ? C'est la question posée à partir de jeudi devant le tribunal correctionnel de Meaux, en Seine-et-Marne. Thierry Allègre, juré d'assises en novembre 2010, est en effet jugé pour avoir violé le secret des délibérations. Après des mois de questionnement, il avait fini par rapporter au Parisien le comportement de la présidente du tribunal qu'il soupçonne d'avoir truqué le délibéré. Pour ces révélations, il est passible d'un an de prison.
Quels sont les devoirs des jurés d'assises ? Neuf jurés d'assises sont tirés au sort pour assister à un procès en première instance, ils sont douze en appel. A ces jurés s'ajoutent deux assesseurs et le président du tribunal. Au début du procès, les jurés d'assises doivent prêter serment de juger l'accusé "avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre et de conserver le secret des délibérations même après la cessation" de ses fonctions. Le secret des délibérations donne lieu à de nombreux soupçons sur la bonne-tenue de ceux-ci. Il est toutefois impossible de vérifier ces soupçons. La violation du secret des délibérés est, elle, en effet punie d'un an de prison et de 15.000 euros d'amende.
Juré dans une affaire de viol sur mineure. Thierry Allègre a donc pris un risque en dénonçant les pratiques de la présidente de la cour d'assises de Seine-et-Marne. L'homme, aujourd'hui âgé de 46 ans, garde en effet une mauvaise impression de son expérience de juré en novembre 2010. A l'époque, la cour d'assises avait condamné en appel un homme à cinq ans de prison pour viols sur mineure, rappelle Le Figaro. Mais Thierry Allègre estime que sans les magistrats professionnels, l'accusé aurait été acquitté.
"Elle essayait d'orienter notre vote". Dans un entretien accordé le 1er avril au Parisien, le juré d'assises raconte son expérience. Selon lui, la magistrate a manqué à plusieurs de ses devoirs. Lors du premier tour de table, elle n'a pas pris en compte les votes demandant l'acquittement, quatre jurés d'assises ont pourtant voté l'innocence et trois autres ont voté blanc. Prenant ce vote pour "un moment d'égarement" la magistrate aurait tenté de faire distraction. "Elle s'est mise à nous parler, à bâtons rompus, de sa propre vie. Elle a évoqué d'autres dossiers. Elle essayait, à coup d'anecdotes, d'orienter notre vote. On se regardait, sans savoir trop quoi faire", confiait Thierry Allègre au Parisien.
Les votes blancs pas pris en compte. Lors du "vrai" vote, les trois personnes indécises ont alors voté pour la culpabilité, sachant qu'il faut 10 voix sur 15 pour que l'accusé soit reconnu coupable. "On peut faire condamner quelqu'un sur un dossier vide" se répétait le juré. Thierry Allègre regrette par ailleurs que les votes blancs n'aient pas été pris en compte. La présidente et ses deux assesseurs auraient en effet affirmé que les jurés ne pouvaient pas voter blanc. Ce qui est faux : le vote blanc, qui caractérise le doute, profite à l'accusé.
"Je suis confronté à un problème de conscience". Plein de remords, Thierry Allègre a décidé juste après la condamnation d'en parlé à l'avocat du violeur présumé. "Il m'a dit : 'je vous appelle parce que je suis confronté à un problème de conscience. Je considère avec un certain nombres de mes collègues que la présidente de la cour d'assises a fait pression sur un certain nombres de jurés pour obtenir un vote conforme à ce qu'elle souhaitait. Je trouve ça insupportable, je ne suis pas le seul. Et je ne veux pas en rester là, parce que votre client aurait du être acquitté. Or, il s'est retrouvé condamné dans des conditions injustes et détestables'", se souvient Me Hubert Delarue, qui a depuis accepté de défendre Thierry Allègre.
Le juré peut-il "affranchir sa conscience" ? Car finalement, le juré s'est décidé à parler devant les policiers. "Cette affaire m'a tracassé pendant plusieurs mois", explique-t-il aux policiers qui l'entendent le 18 avril 2011. Toujours est-il que selon l'article 304, les aveux de Thierry Allègre sont passibles de poursuites. Selon son avocat contacté par Vosges Matin, ce procès, "important au niveau des règlements de l’institution judiciaire", doit donc permettre de déterminer si un "juré, qui a été témoin d’un délit ou d’un manquement grave d’un magistrat, peut affranchir sa conscience en révélant ce qui s’est passé". Et de conclure : "Le secret du délibéré est total et peut couvrir toute sorte de manipulations."
Des précédents. En 1912, André Gide, relatant son expérience de juré dans "Souvenirs de la cour d'assises", explique son "angoisse " de voir "combien il est malaisé pour le juré de se faire une opinion propre, de ne pas épouser celle du président". En 2012, Pierre-Marie Abadie, dans "Juré d'assises, témoignage d'une expérience citoyenne et humaine", dénonce lui "le rôle central et quelque peu exorbitant exercé par le président dans les débats comme dans les délibérations".
Encore une belle affaire qui montre le peu de démocratie qui anime les autorités judiciaires en France qui feraient bien de prendre exemple sur leurs homologues US.