A bord du sous-marin israélien ’Dolphin’ Par
Rédacteur en chef.
Publié le 27 septembre 2009, dernière mise à jour le 27 septembre 2009.
"Alerte," hurle le Cmdr. M. dans haut-parleur qui résonne dans tout le sous-marin israélien Dolphin. Une seconde plus tard, le barreur pousse sur la barre du sous-marin pendant qu’il plonge avec un angle de 45° et descend à presque 300 m sous la surface agitée de la Méditerranée.
Le sous-marin effectue un exercice de routine à quelques dizaines de kilomètres au large d’Haïfa. Les 40 hommes d’équipage éteignent de faux incendies qui se déclarent dans la salle des machines tout en cherchant des fuites parmi les milliers de tuyaux qui parcourent le plafond.
Dans le même temps, après avoir ramené le sous-marin à l’immersion périscopique, le Cmdr. M., le commandant du
Dolphin, se précipite d’un côte du centre d’information de combat à l’autre tout en surveillant les presque 20 écrans plasma qui présentent tout ce qu’un commandant de sous-marin doit savoir — depuis les détections sonar et l’état du système d’armes aux quantités de carburant et d’eau douce.
Alors qu’il tourne en rond, un périscope remonte d’un trou dans le plancher, au milieu du centre d’information de combat. Regardant par les oculaires pour inspecter la surface, M. vérifie que le sous-marin est à une distance sûre des autres navires naviguant au large du port d’Haïfa.
Israël entoure ses sous-marins d’un épais secret. Elle refuse de divulguer des détails sur leurs capacités ou leurs opérations. Cependant, le
Jerusalem Post et 3 autres journalistes ont la chance rare de rejoindre l’équipage du
Dolphin pendant un exercice de routine. A quel point est-ce rare qu’un journaliste accède à un sous-marin israélien ? Seuls 2 autres journalistes avaient été autorisés à monter à bord depuis 10 ans.
Le
Dolphin, le
Leviathan et le
Tekuma — les 3 sous-marins de la classe Dolphin de la marine israélienne — ont été construits en Allemagne au milieu des années 90, avec des caractéristiques qui en feraient les sous-marins classiques les plus avancés au monde. Ils remplaçaient les sous-marins de la classe Gal, âgés de 23 ans.
Souvent décrits comme l’arme de riposte nucléaire d’Israël à cause de leur capacité — selon des articles étrangers — de lancer des missiles de croisière équipés de tête nucléaire, les sous-marins sont entourés d’une aura de mystère.
Mais plus important, soulignent les officiers de marine, est le fait que personne ne sait réellement où se trouvent les sous-marins. "Le fait qu’on ne sache pas où il est et ce qu’il fait renforce la dissuasion israélienne," explique le Capt. O., commandant de la Flottille 7, qui rassemble les sous-marins.
Un sous-marin israélien au large d’une plage de Tel-Aviv en 2008 Au delà de leur signification stratégique, les sous-marins sont adaptés aux opérations navales normales menées par Israël. Avec une frontière le long de la Méditerranée, le rôle de la marine est de protéger la côte et les eaux territoriales contre les marines étrangères et les groupes terroristes. A cette fin, elle effectue des patrouilles régulières à la fois dans les eaux territoriales et aussi jusqu’à plus de 100 km des côtes.
Mais, pour un pays qui reçoit une part importante de ses approvisionnements militaires par la mer, défendre les voies maritimes est un intérêt stratégique existentiel. La marine a lourdement investi dans ses 3 corvettes lance-missiles Sa’ar 5, multi-missions et ultra-sophistiquées. Mais sans sa flotte sous-marine, dit-elle, elle ne peut faire correctement face à la menace d’isolement pendant une guerre.
On ne peut pas dire grand chose sur la participation des sous-marins aux récentes opérations de l’armée israélienne — y compris la 2è Guerre du Liban et l’opération Plomb Durci dans la bande de Gaza.
"Nous faisons des choses que les autres plateformes ne peuvent pas faire," explique vaguement le Capt. O. "Les renseignements peuvent être recueillis par un drone ou par un agent humain. Mais un sous-marin peut amener un ensemble de différents senseurs et recueillir des renseignements sans que personne ne sache même que nous sommes là."
Pour maintenir ce niveau de secret et continuer à faire ce que les sous-marins ont toujours fait, explique-t-il, il vaut mieux éviter d’être trop précis. "J’appelle ça de la projection de puissance discrète," indique O., qui a pris le commandement de la flottille l’an dernier après avoir passé un an à l’Université d’Harvard.
C’est précisément ce niveau de secret et de mystère qui attire les jeunes qui tentent cette formation unique. "La marine vend le cours comme quelque chose d’unique et de mystérieux," explique le Lt. Amit, un officier de pont responsable de la navigation et des systèmes de communication. "Ce que j’ai vécu a répondu tout à fait à mes attentes."
Israël a reçu son premier sous-marin en 1959. Baptisé
Tanin, le sous-marin de la classe S acheté à la Grande-Bretagne, a participé à la Guerre des 6 Jours et déposé des commandos de marine qui ont attaqué le port d’Alexandrie. Le sous-marin a essayé de torpiller un navire égyptien, mais il a été gravement endommagé lors d’une attaque de grenades sous-marines, ce qui a conduit à son désarmement après la guerre.
Reconnaissant la signification stratégique des sous-marins, la Flottille 7 a continué de grandir et, dans les années 70, 3 sous-marins de la classe Gal sont arrivés. Après 23 ans de service, ils ont été désarmés à la fin des années 90 à la suite de l’arrivée de 3 sous-marins de la classe Dolphin d’Allemagne.
Alors que la production du programme Dolphin avait été approuvée en 1989 par le ministre de la défense Yitzhak Rabin, il a été annulé un an plus tard par son successeur Moshe Arens en raison de lourdes contraintes budgétaires.
Plusieurs mois après la décision d’Arens, la 1ère Guerre du Golfe a éclaté et des Scud irakiens ont été lancés sur le pays. On a ensuite appris que des têtes chimiques irakiennes, qui n’ont jamais été lancées, avaient peut-être été développées avec l’aide de compagnies allemandes. Les relations entre Berlin et Jérusalem se sont tendues, conduisant le gouvernement allemand à offrir un soutien humanitaire et militaire, sous la forme de 2 sous-marins de la classe Dolphin gratuits. Le 3è sous-marin a été commandé un an plus tard, et le cout a été partagé entre l’Allemagne et Israël.
Les 3 sous-marins seront bientôt rejoints par 2 autres sous-marins actuellement en construction la compagnie allemande HDW. Les nouveaux sous-marins devraient arriver au milieu de la prochaine décennie.
Déplaçant environ 1.700 t et mesurant moins de 60 de long, sa forme courte et fine rend le
Dolphin très manœuvrant. Sa conception inhabituelle comporte 3 ponts. Alors qu’il mesure 8 m de long de plus que les précédents Gal, les sous-marins de la classe Dolphin font pale figure en comparaison avec les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins américains de la classe Trident, qui mesurent 166 m de long. Néanmoins, les sous-marins de la classe Dolphin sont totalement automatisés et informatisés, avec des systèmes développés par plusieurs importantes compagnies israéliennes, comme Tadiran, Elbit, IAI et Rada.
Ils sont à la fois équipés de sonars basse fréquence et passif, et leur système de contrôle de lancement intégré leur permet de suivre et d’évaluer un grand nombre de cibles. Les 2 périscopes du
Dolphin — équipés d’imagerie thermique et à intensification de lumière — sont spécialement conçus pour la marine et tout ce que voit le commandant est relayé sur un écran dans le centre d’information de combat.
Selon
Jane’s Fighting Ships, la classe Dolphin peut lancer des mini-submersibles transportant jusqu’à 8 nageurs de combat, par ses tubes lance-torpilles. Les sous-marins ont "une très large capacité commando," puisqu’ils permettent aux nageurs d’atteindre la côte sans être détectés, explique le journal.
En raison de sa faible taille, chaque centimètre du sous-marin est utilisé au maximum. Les cabines sont de petites pièces où les murs sont remplis par des couchettes de peut-être 50 cm de hauteur, provoquant des plaisanteries parmi l’équipage pour qui, dormir dans ces couchettes est "une bonne préparation pour la tombe." Il y a 3 salles de bains, qui servent aussi de douches et de réserves. Entre les repas, la pièce où l’on mange devient une chambre à coucher et une salle de détente.
On ne sait pas grand chose sur les opérations auxquels les sous-marins participent. Pendant la 2è Guerre du Liban, ils ont joué un rôle en imposant un blocus maritime au Liban pour empêcher les approvisionnements militaires d’atteindre le Hezbollah. Dans Plomb Durci, les sous-marins ont aussi été mis en œuvre.
En juin dernier, les sous-marins israéliens ont fait les gros titres de l’actualité après que le
Jerusalem Post ait été le premier journal à révéler que l’un d’entre eux avait emprunté pour la première fois le canal de Suez. La décision d’envoyer le sous-marin — ainsi qu’une corvette Sa’ar 5 — par le canal a été un changement de politique au sein du service et l’annulation d’une décision prise en 2005 par le commandant de la marine, l’amiral David Ben-Bashat, d’arrêter d’envoyer des navires par le canal en raison des menaces grandissantes dans la région.
La signification de cette décision est débattue, mais elle a été immédiatement interprétée comme un message envoyé à l’Iran et la démonstration du renforcement des liens avec l’Egypte.
Dans l’éventualité d’un conflit avec l’Iran, et si Israël décidé de faire participer ses 3 sous-marins Dolphin, la route rapide serait de les envoyer par le canal de Suez. Avec leur rayon d’action supposé de 4.500 nautiques, prendre la route la plus longue, autour de l’Afrique, exigerait que les Dolphin effectuent au moins 2 escales pour se ravitailler dans des ports amicaux ou de ses ravitailler en mer.
"La mer Rouge est une région qui a une grande importance pour nous et pourrait devenir un front important pour Israël," indique un officier de marine pour expliquer la décision d’envoyer le sous-marin par le canal. Il est important que nous nous familiarisions avec lui."
La présence de la marine en mer Rouge pourrait aussi avoir pour cible l’industrie de contrebande qui transporte des armes et des explosifs vers la bande de Gaza.
Si l’Egypte prétend que la majeure partie de l’armement est introduite dans Gaza par la Méditerranée, des responsables israéliens de la défense prétendent que de l’armement et des explosifs sont introduits par la route terrestre, par l’Afrique et jusqu’au Sinaï jusqu’à ce qu’il atteigne le côté égyptien du corridor Philadelphi.
"Un sous-marin peut être sur place sans que personne ne le sache et peut recueillir des renseignements sans personne ne le sache," indique ce haut-responsable.
Mais le recueil de renseignement n’est pas le seul rôle des sous-marins. Leurs missions sont aussi de s’attaquer aux routes maritimes de l’ennemi, de bloquer et de miner les ports ennemis, de débarquer des commandos et — selon des articles étrangers — de fournir une capacité de riposte nucléaire.
En juin 2000 par exemple, le
Sunday Times a indiqué qu’Israël avait effectué en secret des essais de lancement de missiles de croisière, pouvant être équipés de têtes nucléaires, au large de la côte du Sri Lanka. Citant des sources militaires israéliennes, le journal indiquait que les essais avaient été effectués par 2 sous-marins de la classe Dolphin. Les missiles testés étaient de fabrication israélienne et équipés de têtes classiques. Ils avaient touchés leur cible, à environ 1.500 km. Les sources indiquaient que les lancements étaient destinés à simuler une frappe de représailles contre une attaque nucléaire préventive iranienne.
Même si l’armée israélienne a démenti cet article, c’est bien ce voile de secret qui aide à renforcer la dissuasion.
Israël n’a jamais reconnu avoir des missiles de croisière.
Jane’s Defense Weekly prétend qu’il a modifié le missile Popeye Turbo en missile de croisière lancé depuis un avion, d’une portée de plus de 200 km. Le Popeye a été développé et construit par Rafael, qui possède une division de développement de missiles sophistiqués.
Selon un système de rotation, poursuit le Times, 2 des sous-marins resteront en mer — un en mer Rouge, l’autre en Méditerranée — pendant que le 3è sera gardé en réserve. Les missiles, précise le journal, ne seront lancés qu’après l’accord de 4 personnes : le premier ministre, le ministre de la défense, le chef de l’état-major général et le commandant de la marine.
Pour l’instant, l’armement des sous-marins de la classe Dolphin comporte des missiles anti-navires Sub Harpoon, des mines, des leurres et des torpilles filoguidées STN Atlas. Le sous-marin dispose de 4 tubes de 650 mm et de 6 de 533 mm. Ils peuvent être rapidement rechargés par 6 torpilles situées derrière chaque tube.
Les sous-marins utilisent des moteurs diesel pour alimenter des génératrices pour leur permettre de rester en plongée pendant plusieurs jours. Les nouveaux sous-marins en construction en Allemagne seront équipés d’un système de propulsion anaérobie, utilisant des piles à combustible à oxygène et hydrogène.
"Avec la nouvelle technologie allemande," explique un responsable proche de l’accord, "les nouveaux sous-marins pourront rester en plongée pendant beaucoup, beaucoup longtemps que les anciens modèles."
Cependant, Israël n’est pas le seul pays du Moyen-Orient à augmenter ses capacités sous-marines. L’an dernier, l’Egypte a commencé des discutions avec Berlin concernant l’éventuel achat du même type de sous-marins que celui développé pour Israël. L’Iran a aussi annoncé des projets de lancer une ligne de construction de sous-marins pour ajouter aux 3 sous-marins russes Kilo dont elle dispose actuellement.
"Les armées essaient toujours d’améliorer les technologies," indique le Capt. O. "Il y a cependant un long chemin pour nous rattraper mais nous ne pouvons pas être heureux. Nous devons toujours nous assurer de rester un pas en avant."