Incluant l'homophilie dans les perversions dès 1916-17, Freud la considère comme "une déviance fatale"[1]. Contrairement à l'affirmation de Roudinesco[2] fondée sur l'exception dans une correspondance privée que nous allons voir ci-dessous, il maintiendra cette qualification toute son existence (cf. Delrieu) et n'admettra d'ailleurs jamais les homophiles dans la société psychanalytique :
"… les inhibitions se font connaître sous la forme de troubles multiples de la vie sexuelle. Il existe alors des fixations de la libido à des états de phases antérieures, dont la tendance, indépendante du but sexuel normal, est qualifiée de perversion… par exemple l'homosexualité… "[3]
La seule exception, bien ambigüe, à cette prise de position, ne peut être trouvée que dans une lettre personnelle et dictée par le souci de condamner l'homophobie :
"… l'homosexualité… n'est ni un vice ni un avilissement et on ne saurait la qualifier de maladie ; "nous la considérons comme une variation de la fonction sexuelle, provoquée par un certain arrêt du développement sexuel… C'est une grande injustice de persécuter l'homosexualité comme un crime – et c'est aussi une cruauté."[4]
Puisqu'il est évident qu'un "arrêt du développement sexuel" est une pathologie de la libido par fixation à un stade précoce de son développement, un tel discours est manifestement clivé.
Il en fut de même pour sa fille. Personne ne peut prouver que la longue et intime amitié d'Anna Freud et Dorothy Tiffany Burlingham aurait été homophile alors qu'attaquée pour cela par les kleiniens, Anna s'en est défendue(2). Elle était, en parfaite cohérence avec son père en dépit de Roudinesco (le contraire serait impensable), convaincue que l'homophilie est pathologique et que les homophiles ne doivent pas devenir psychanalystes(2). Aussi les ragots en sens contraire du lobby politico-homophile étonnamment alimentés par Roudinesco ("…des relations d'amitié qui ressemblent fort à celles de deux lesbiennes."(2)), qui l'accusent implicitement de malhonnêteté intellectuelle, sont diffamatoires. Roudinesco pousse l'ambivalence jusqu'à affirmer que le fait de nier une éventuelle homophilie serait une "manière de rester fidèle au seul homme qu'elle ait jamais aimé : son père.", comme si Anna, allons jusqu'au bout des suppositions, avait eu une relation charnelle avec son père !
Cependant, Freud fait l'observation clinique suivante :
"… l'élimination de l'inversion génitale ou homosexualité, n'est jamais apparue à mon expérience comme facile. Bien plutôt j'ai trouvé qu'elle ne réussit que dans des circonstances particulièrement favorables, et que même alors le succès consistait essentiellement à pouvoir libérer, pour la personne confinée dans l'homosexualité, la voie jusqu'alors barrée vers l'autre "sexe, donc à restaurer sa pleine fonction bisexuelle."[5]
Compte tenu de la similarité entre l'autosexualité et l'homophilie, il est évident que sa condamnation de la bisexualité autosexuelle ne pouvait pas permettre à Freud de lever le refoulement de l'autosexualité à l'œuvre dans l'homophilie. Nous adoptons ce terme qui précise celui d'homoérotisme usité par Ferenczi, Freud[6] et Bergeret[7] qui soulignent ainsi le côté pervers de la chose en refusant la qualification de sexualité à une pratique qui dénie l'existence de la différence des sexes.
[1] Freud S. Introduction à la psychanalyse. 1916-17. Paris : PUF ; 2000. p. 314.
[2] Roudinesco E. Preface of Correspondance Sigmund Freud – Anna Freud, 1904 – 1938. Paris : Fayard ; 2012. p. 15.
[3] Freud S. Abrégé de psychanalyse. 1938. Paris : PUF ; 2010. p. 244.
[4] Freud S. lettre du 9.04.1935. Correspondance. 1960. Paris : Gallimard : 1966. p. 461.
[5] Freud S. De la psychogénèse d'un cas d'homosexualité féminine. 1920. Paris : PUF ; 1996. T. XV. p. 239.
[6] Freud S. Trois essais sur la théorie de la sexualité. 1905. Paris : PUF ; 2006. p. 79, note de 1920.
[7] Bergeret J. Psychologie pathologique. Paris : Masson ; 2008.