Israël a manqué une rendez-vous avec l’histoire, par Uri Avnery 4 janvier 2009
« Cette
guerre l’écrit en lettres capitales : Israël a manqué une chance
historique de faire la paix avec le nationalisme arabe laïque. Demain,
il pourra être confronté à un monde arabe uniformément fondamentaliste,
un Hamas multiplié par mille. » Avnery retrace la séquence qui a
conduit à la guerre de Gaza. Ayant tablé sur la faiblesse d’Abbas, se
contentant d’un simulacre de négociation, Israël n’a pas compris que le
Hamas l’emporterait contre une Autorité Palestinienne discréditée.
Après l’échec du blocus à briser la résistance des gazaouis et à les
retourner contre le nouveau pouvoir installé à Gaza, Israël espère
aujourd’hui pouvoir liquider le Hamas par le fer et le feu, avec la
complicité de l’Egypte qui verrouille la seule issue de cette zone de
combat où la population civile est piégée, en une réédition de la
stratégie de bombardements massifs utilisée sans succès au Liban. Mais
au delà de Gaza, c’est toute une génération Arabe, révoltée par la
passivité et la corruption de ses dirigeants qui pourrait se tourner
bientôt vers l’Islam politique, apparaissant comme la seule force
indemne de compromission.
par Uri Avnery, Gush Shalom, 3 janvier 2009Juste après minuit, la chaîne arabe Al Jazeera
diffusait un reportage sur les événements à Gaza. Soudain, la caméra
s’est dirigée vers le ciel nocturne. L’écran était noir. On ne pouvait
rien voir, mais on entendait un bruit : celui des avions, un effrayant,
un terrifiant vrombissement.
Il était impossible de ne pas penser à ces dizaines de
milliers d’enfants de Gaza qui entendaient ce bruit à ce moment-là, se
recroquevillant avec effroi, paralysés par la peur, attendant que
tombent les bombes.
« Israël doit se défendre contre les roquettes qui
terrorisent nos villes du Sud », déclarait le porte-parole israélien.
« Les Palestiniens doivent riposter à l’assassinat de leurs combattants
à l’intérieur de la bande de Gaza », affirmait celui du Hamas.
En fait, le cessez-le-feu n’a pas été rompu, car il n’y
avait pas de véritable cessez-le-feu. La principale exigence pour tout
cessez-le-feu dans la bande de Gaza doit être l’ouverture des points de
passages à la frontière. Il ne peut y avoir de vie dans la bande de
Gaza sans le passage d’un flux d’approvisionnement. Mais ces passages
n’ont pas été ouverts, à l’exception de quelques heures de temps en
temps. Le blocus sur terre, sur mer et dans les airs contre un million
et demi d’êtres humains est un acte de guerre, tout autant que tout
largage de bombes ou tirs de roquettes. Il paralyse la vie dans la
bande de Gaza, en détruisant la plupart des possibilités d’emploi, en
jetant des centaines de milliers de personnes au bord de la famine, en
provoquant l’arrêt du fonctionnement de la plupart des hôpitaux, en
perturbant l’approvisionnement en électricité et en eau.
Ceux qui ont décidé de fermer les points de passage -
sous quelque prétexte que ce soit - savaient qu’il n’y a pas de
véritable cessez-le-feu dans ces conditions.
C’est là le point central. Ensuite, vinrent les petites
provocations qui ont été conçues pour provoquer la réaction du Hamas.
Après plusieurs mois durant lesquels pratiquement aucune roquette
Qassam n’avait été tirée, une unité de l’armée a été envoyée dans la
bande de Gaza « afin de détruire un tunnel arrivant près de la barrière
frontalière ». D’un point de vue strictement militaire, il aurait été
plus judicieux de monter une embuscade de notre côté de la frontière.
Mais l’objectif était de trouver un prétexte pour mettre un terme au
cessez-le-feu, de telle manière que l’on puisse en attribuer de façon
plausible la responsabilité aux Palestiniens. Et en effet, après
plusieurs de ces petites opérations dans lesquelles les combattants du
Hamas ont été tués, le Hamas a riposté par un tir massif de roquettes.
Et voilà - le cessez-le-feu était terminé. Tout le monde a blâmé le
Hamas.
Quel était le but recherché ? Tzipi Livni l’a annoncé
ouvertement : liquider le pouvoir du Hamas dans la bande de Gaza. Les
roquettes Qassam ont seulement servi de prétexte.
Liquider le pouvoir du Hamas ? Cela ressemble à un
chapitre de « La Marche Folle ». Après tout, ce n’est pas un secret que
c’est le gouvernement israélien qui a mis en place le Hamas. Lorsque
j’ai interrogé un jour Yaakov Peri, un ancien dirigeant du Shin Bet, à
ce sujet, il m’a répondu énigmatiquement : « Nous ne l’avons pas créé,
mais nous n’avons pas entravé sa création. »
Pendant des années, les autorités d’occupation ont
favorisé ce mouvement islamique dans les territoires occupés. Toutes
les autres activités politiques étaient vigoureusement réprimées, mais
leurs activités dans les mosquées ont été autorisées. Le calcul était
simple et naïf : à l’époque, l’OLP était considérée comme le principal
ennemi, Yasser Arafat était le Diable. Le mouvement islamique prêchait
contre l’OLP et Arafat, et a donc été considéré comme un allié.
Avec le déclenchement de la première Intifada en 1987,
le mouvement islamique s’est officiellement rebaptisé Hamas (les
initiales en arabe de « Mouvement de résistance islamique ») et a
rejoint la lutte. Même à cette époque, le Shin-Bet n’a pris aucune
mesure contre eux pendant près d’un an, tandis que les membres du Fatah
étaient exécutés ou emprisonnés en grand nombre. Ce n’est qu’après une
année que le cheikh Ahmed Yassine et ses collègues ont également été
arrêtés.
Depuis lors, la roue a tourné. Le Hamas est devenu le
nouveau Satan, et l’OLP est considérée par beaucoup en Israël comme
étant presque une branche de l’organisation sioniste. La conclusion
logique pour un gouvernement israélien recherchant la paix aurait été
de faire de larges concessions à la direction du Fatah : fin de
l’occupation, signature d’un traité de paix, fondement de l’État
Palestinien, retrait aux frontières de 1967, une solution raisonnable
au problème des réfugiés, et la libération de tous les prisonniers
palestiniens. Cela aurait arrêté la montée du Hamas à coup sûr.
Mais la logique a peu d’influence sur la politique.
Rien de ce genre ne s’est produit. Au contraire, après l’assassinat
d’Arafat [sic], Ariel Sharon a déclaré que Mahmoud Abbas, qui l’avait
remplacé, était une « volaille plumée ». On n’a pas autorisé à Abbas
d’obtenir le moindre succès politique. Les négociations, sous les
auspices américaines, sont devenu une plaisanterie. Le plus authentique
chef du Fatah, Marwan Barghouti, a été envoyé en prison à perpétuité.
Au lieu d’une libération massive de prisonniers, il n’y a eu que de
petits « gestes » insultants.
Abbas a été systématiquement humilié, le Fatah
ressemblait à une coquille vide et le Hamas a remporté la victoire lors
des élections palestiniennes - les élections les plus démocratiques
jamais organisées dans le monde arabe. Israël a boycotté le
gouvernement élu. Dans la lutte intestine qui s’en est suivi, le Hamas
a pris le contrôle de la bande de Gaza.
Et maintenant, après tout cela, le gouvernement
israélien a décidé de « liquider le pouvoir du Hamas dans la bande de
Gaza » - par le sang, le feu et les colonnes de fumée.