Pourquoi les clins d’oeil envoyés par Donald Trump à la communauté afro-américaine pourraient bien faire mouche - Calculs politiques(Atlantico - par Jean-Eric Branaa - Publié le 22 Août 2016)La communauté afro-américaine est l'une des rares épargnées par Donald Trump dans ses déclarations. Plus que cela, elle est même courtisée par le candidat républicain qui semble avoir compris que le vote des Afro-Américains est celui qui risque de faire basculer les résultats de la présidentielle américaine.
Atlantico : Lors d'un meeting de campagne ce jeudi, Donald Trump a affirmé : "Si les Afro-Américains donnent leurs voix à Donald Trump, le résultat pour eux sera incroyable". Que peut véritablement attendre cet électorat de la part du candidat républicain à la présidentielle américaine ? Comment les Afro-Américains le jugent-ils ?Jean-Eric Branaa : On pourrait penser, a priori – et avec un regard français –, que les Afro-Américains n’ont rien à attendre de Donald Trump et qu’ils vont donc soutenir en masse la candidate démocrate et sans se poser de question.
Le soutien à Hillary Clinton est en effet très fort si l'on en croit les intentions de vote. Elle peut s’appuyer sur son engagement sans faille contre le racisme et ce, depuis son plus jeune âge. L’action de son mari, Bill Cinton, très fortement favorable à cette communauté, est aussi un atout certain. Enfin, les convictions religieuses chrétiennes de la candidate sont également une valeur-clé pour une bonne partie de l'électorat noir. Mais, surtout, il faut rappeler qu’elle a reçu le soutien appuyé de Barack Obama, devenant l’héritière adoubée des espoirs de tous les Afro-Américains.
Mais si cet engagement des minorités ethniques à Mme Clinton semble être une évidence pour beaucoup, la situation est en réalité un peu plus complexe et reposera d’abord sur une mobilisation forte. Sans un mouvement clairement marqué de cette partie de l'électorat dans sept États il y a quatre ans, Barack Obama aurait perdu au profit de Mitt Romney. Or, la situation n’a pas changé et les sondages indiquent des résultats serrés dans les mêmes Etats, principalement dans le Sud du pays.
Donald Trump va donc mener une campagne pour essayer de fissurer
"la conviction de groupe" et de s’adresser à ces électeurs de façon plus individuelle. L’attaque qu’il a lancée est frontale, mais pourrait bien porter des fruits :
"Aucun groupe en Amérique n'a plus souffert des politiques d'Hillary Clinton que les Noirs", a-t- il affirmé lors d'un meeting à Dimondale, dans le Michigan.
"Vous vivez dans la pauvreté, vos écoles sont mauvaises, vous n'avez pas de travail, 58 % de votre jeunesse est au chômage. Mais qu'est-ce que vous avez à perdre ?".
Et à ceux qui pensent que Barack Obama et Hillary Clinton sont forcément les mieux placés pour défendre leurs intérêts, il a lancé une mise en garde depuis la Louisiane, où il s’est rendu au chevet des victimes des inondations :
"Obama ferait mieux d'arrêter de jouer au golf et de venir ici", reprenant une remarque qui commence à monter un peu partout dans le pays.
La méfiance à son encontre reste cependant très forte puisque les sondages les plus optimistes lui accordent un soutien de… 1 % au sein de cette communauté. Il en faut plus pour décourager Donald Trump qui a affirmé que s’il était élu le 8 novembre il obtiendrait 95 % du vote Afro-Américain pour sa réélection en 2020, sous-entendu
"avec tout ce que je vais faire pour eux". Un poker menteur ?
Comparativement aux autres minorités, et notamment les Hispaniques, Donald Trump ne s'en est jamais pris dans ses déclarations à la communauté afro-américaine. Comment expliquer cette retenue ?
C’est effectivement le premier point qu’il faut relever : alors que tous les analystes expliquaient que l’issue de l’élection se jouerait dans la capacité à séduire les Hispaniques, Donald Trump les a attaqué frontalement et dès l’annonce de sa candidature, le 16 juin 2015, en les traitant de voleurs et de violeurs et en promettant un mur à la frontière avec le Mexique. Puis les assauts se sont succédées : vétérans, femmes, handicapés, musulmans, rares sont les groupes qui ont été épargnés, suscitant hauts cris et effroi, sans empêcher l’ascension du milliardaire, qui semblait inéluctable.
Mais jamais il n’y a eu le moindre mot contre les Afro-Américains. Bien au contraire. Très vite, Donald Trump a mis en avant son amitié avec Cassius Clay, a annoncé avoir reçu le soutien d’une centaine de leaders religieux noirs ou a même tenté un rapprochement avec le leader noir Al Sharpton, qu’il qualifiait
"d’ami proche" en septembre 2015, alors que ce dernier a finalement apporté son soutien total à Hillary Clinton, comme on pouvait s’y attendre. Sa rencontre avec les pasteurs noirs, qui a eu lieu le 1er décembre, avait surpris tout le monde. Parmi ceux-ci on trouvait Omarosa Manigault, une ancienne participante au jeu de télé-réalité The Apprentice, ordonnée pasteur par la suite. Celle-ci déclara que Trump était
"très engagé pour la cause noire". Les autres participants, plus ou moins gênés que leurs noms soient divulgués dans la presse, expliquèrent qu’ils avaient joué leur rôle et avaient accepté l’invitation
"pour voir", "pour comprendre" ou
"pour ne pas juger sans savoir".
La stratégie de Donald Trump pourrait fonctionner auprès de certains sous-groupes, ceux qui vivent dans des ghettos, dans les conditions les plus sordides et font face aux vicissitudes de la vie. Car les attaques contre les Hispaniques rencontrent un écho chez certains Afro-Américains, qui ont été détrônés du statut de première minorité depuis une dizaine d’années et considèrent que le démantèlement des politiques de discrimination positive sont des atteintes directes à leur bien-être social et à leur possibilité de réussir : la concurrence est souvent rude et féroce entre les deux communautés et les
"sorties" de Donald Trump ne sont pas forcément si mal appréciées.
Il reste que Donald Trump a peut-être voulu jouer sur beaucoup trop de tableaux en même temps : car en s’attaquant aux musulmans, c’est aussi une partie de la communauté afro-américaine qu’il a heurtée. Cela a mis à mal son amitié désormais révolue avec Mohamed Ali, qui a pris position dès le mois de décembre pour que les politiciens américains développent une meilleure compréhension de l’islam et n’abiiment pas les relations entre les uns et les autres. L’attaque n’était pas directement dirigée contre Donald Trump. Mais une autre star du sport, le basketteur Kareem Abdul-Jabbar, a pris moins de gants, quelques semaines plus tard. Ce sont des prises de position qui portent au sein d’une communauté qui vénère ceux d’entre eux qui ont atteint le sommet. Donald Trump devra corriger le tir vis-à-vis d’eux, par exemple, comme il a commencé à le faire, en précisant qu’il ne vise pas l’islam, mais un islam radical lié aux groupes extrémistes.
La présidence Obama, et tout particulièrement son deuxième mandat, aura été marquée par ce qui apparaît comme une résurgence des tensions raciales aux Etats-Unis, à travers les meurtres d'Afro-Américains par des policiers un peu partout sur le territoire. Quel bilan peut-on tirer de la présidence Obama quant à son action tournée vers la communauté afro-américaine ? Dans quelle mesure ce bilan pourrait-il avoir un impact sur les intentions de vote de l'électorat afro-américain ?L’élection de Barack Obama avait en effet fait émerger le rêve d’une société post-raciale. Ce mythe se sera presque totalement envolé en huit ans avec des événements forts, liés à des violences jugées insupportables et qui ont démontré que ce mythe s’était bien évanoui. Trayvon Martin, Eric Gardner, Michael Brown et tant d’autres… Pour la communauté afro-américaine,il semblerait que les victimes soient toujours des Noirs et que la société n’y prête aucune attention. De surcroît, les derniers événements ont été liés à des violences policières à l’encontre de Noirs. Barack Obama donc logiquement été critiqué pour ne pas avoir fait assez durant ses huit ans de présidence en faveur de la communauté afro-américaine et un mouvement de contestation, le groupe Black Lives Matter, a vu le jour.
Conscient de ce reproche, le président y a répondu le 12 juillet 2016, lors d’une cérémonie à Dallas en l’honneur de cinq policiers tués, en se présentant comme un président rassembleur.
"Je comprends ce que ressentent les Américains", a-t- il-déclaré,
"Mais, je suis ici pour le dire, nous devons rejeter un tel désespoir. Je suis ici pour dire avec insistance que nous ne sommes pas aussi divisés que nous semblons l’être". C’était un message d’unité d’une force extraordinaire, mais qui n’est malheureusement pas audible par les Américains dans le contexte actuel.
L’Amérique fait en effet face à un problème davantage lié à la pauvreté plutôt qu’à la question raciale. Et alors que le pays se relève de la crise, une partie des classes moyennes, parmi lesquels se trouve un grand nombre de familles noires, ont des problèmes de logement, d’éducation, de malnutrition et de chômage. En 2014, le revenu médian des foyers blancs était ainsi de 71 300 dollars par an, contre seulement 43 300 dollars pour les foyers noirs. Pourtant, il serait inexact d’affirmer que Barack Obama n’a rien fait pour la communauté noire. Sa réforme du système de santé, Obamacare, a permis aux classes sociales les plus défavorisées, parmi lesquelles on trouve surtout les Noirs, de bénéficier pour la première fois d’une assurance-santé.
Plus récemment, il a également entrepris de s’attaquer au système judiciaire qui emprisonne les Noirs plus que n’importe quelle autre catégorie de la population américaine. Alors qu’ils ne représentent que 13 % de la population, ceux-ci totalisent 40 % de l’ensemble des prisonniers. Or, leur incarcération est due, pour nombre d’entre eux, aux lourdes peines plancher appliquées pour simple possession de drogue. La réforme voulue par Obama vise donc à réduire ces peines et même à libérer un certain nombre de prisonniers. Environ 6 000 d’entre eux, ayant en moyenne déjà passé 9 ans derrière les barreaux, ont ainsi été libérés entre le 30 octobre et le 2 novembre 2015. Certaines nominations ont par ailleurs été importantes d'un point de vue symbolique : Eric Holder, puis Loretta Lynch au ministère de la Justice, Lisa Jackson à la direction de l'Agence de protection de l'environnement et Charles Bolden à la tête de la Nasa sont tous devenus les premiers Noirs américains – ou première femme noire – à occuper un tel poste. On peut considérer que Barack Obama a échoué en ne faisant pas de la question raciale l’une de ses priorités. Mais il ne faut pas oublier qu’à son arrivée à la Maison Blanche en 2009, il y avait d’abord une crise économique sans précédent à gérer. Il s’est ensuite occupé d’Obamacare, avant de perdre la majorité au Congrès.
Il est vrai que le ressenti d’aujourd’hui est cependant négatif au sein de la population, ceci étant exacerbé par le contexte de campagne électorale. Il n’est donc pas exclu que les plus déçus se laisseront peut-être tenter par un message populiste qui leur promettra
"un grand soir". Quelque pourcents suffiraient au bonheur de Donald Trump : il a donc lancé l’offensive, très certainement conseillé par sa nouvelle directrice de campagne, Kellyann Conway, qui connaît bien les chiffres et sait que pour gagner il faudra grignoter sur deux secteurs : les Afro-Américains et les femmes.
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Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est notamment l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015) et de Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016). Son prochain romain à paraître en août 2016 s'intitule : American Touch (Parlez-moi de vous), édition de Passy, 2016, 250 pp