Médias : un système "pourri" ?

La volonté d’infléchir la ligne éditoriale d’Envoyé spécial ? C’est l’autre raison invoquée par la direction de l’info de France Télés pour justifier l’éviction du rédacteur en chef du magazine, le journaliste d’investigation Jean-Pierre Canet. Comme nous vous le racontions hier, celui-ci s’est vu écarté de la rédaction en chef du magazine le 30 juin, après avoir validé, sans l’accord de ses supérieurs, un reportage à Mossoul durant lequel trois journalistes ont trouvé la mort. Derrière "l’erreur de procédure", pointée en premier lieu, la direction de l’info reconnaît aussi des raisons éditoriales à la non-reconduction du contrat de saison de Canet. Hier, lors d’une réunion en interne, poussé dans ses retranchements par les journalistes, le directeur de l'information Yannick Letranchant a justifié l’éviction de Canet en reconnaissant à demi-mot s'interroger sur "un sommaire plus large, plus éclectique" et expliquant qu’il avait "envie qu' Envoyé Spécial se porte bien avec une audience acceptable". Les audiences jugées décevantes, c’est ce que s’entend répéter la rédaction de l'émission depuis plusieurs mois par la direction.

Depuis septembre dernier, avec l’arrivée aux manettes d’Elise Lucet en lieu et place du duo historique Françoise Joly-Guilaine Chenu, France Télévisions comptait renouveler la recette et les contenus, mais aussi relancer les audiences du magazine. Des audiences tombées à 11,7% de parts de marché sur l’année 2015-2016, après deux années précédentes au-dessus de 13%. Sous la houlette de la nouvelle présidente du groupe Delphine Ernotte nommée en 2015 et de son directeur de l’info, Michel Field, France Télés a donc ficelé un Envoyé spécial nouvelle formule, en misant sur l'investigation. Davantage d’enquête, de reportages de haut vol et de grands portraits. Le tout dans un format bi-mensuel (et non plus hebdo) pour laisser davantage de temps à l’investigation. C’est dans cette optique qu’Elise Lucet, fait alors venir à ses côtés, comme nouveau rédacteur en chef, Jean-Pierre Canet, enquêteur chevronné et récent producteur du documentaire sur le Crédit Mutuel censuré par Bolloré. C’est un proche de Lucet qui l'a aidé à fonder Cash Investigation. En tandem, ils vont être chargés d’imprimer leur marque à la nouvelle émission et surtout de redresser les audiences.

Que s’est-il passé pour que dix mois plus tard France Télés décide de faire machine arrière, en débarquant son rédacteur en chef sur fond de drame, et en plaidant pour un "élargissement éditorial" mettant désormais en avant des sujets de société, voire des histoires "positives", au détriment de l’investigation ? D’un point de vue purement comptable, avec 11,3% de part d’audience en moyenne sur la saison 2016-2017, force est de constater que l’Envoyé spécial nouvelle formule fait moins que l’année précédente (11,7 %). Moins également que les objectifs fixés cette année par la direction d’atteindre les 12,5 % de part d’audience moyenne sur l’année. Peut-on pour autant mettre ces chiffres sur le dos d'une ligne éditoriale axée plus volontiers sur l’investigation cette année ? Certes avec certaines enquêtes sur l’affaire Théo, les abattoirs ou encore Arnaud Lagardère, l’émission n’a réuni que 1,6 million de téléspectateurs, soit 8,5 % du public.